forum_C : Un assez beau palmarès

Samedi soir, à la cérémonie de clôture du 71e Festival de Cannes, Cate Blanchett a délivré avec son jury un Palmarès cohérent et globalement défendable, à quelques exceptions près. Certes, il déplaira aux tenants d’un cinéma minimaliste et austère qui auraient préféré y voir figurer des films comme Burning ou Le poirier sauvage. Mais le jury, composé outre Cate Blanchett, des réalisateurs Robert Guédiguan, Andreï Zviaguintsev et Denis Villeneuve, de la réalisatrice Ava DuVernay, des actrices Léa Seydoux et Kristin Stewart, de l’acteur Chang Chen et de la chanteuse Khadja Nin, a visiblement voulu faire le choix d’un cinéma d’auteur susceptible d’attirer un public au-delà des cercles strictement cinéphiliques et porteur d’un regard fort sur la société.

(c) Festival de Cannes

Comme il aurait sans doute été inconcevable de ne pas attribuer de prix au demi-dieu Jean-Luc Godard qui n’avait, comme à son habitude, pas daigné se déplacer à Cannes mais avait généreusement consenti à donner une conférence de presse par FaceTime interposé, obligeant ses disciples à faire la queue devant un portable pour lui poser leurs questions (!), le Jury a imposé pour lui une Palme d’Or spéciale pour Le livre d’image, qui règlera, on l’espère, une fois pour toutes la question Godard.

Pour le reste, le film le moins accessible est Ayka, une sorte de Rosetta russe, très inspirée des frères Dardenne, réalisée par Sergey Dvortsevoy et qui a valu un prix d’interprétation à la jeune actrice kazakhe Samal Yeslyamova. On aurait préféré voir couronné un personnage de femme plus fort (Zhao Tao dans Ash is Purest White, par exemple) mais comme Lazzaro felice (de Alice Rohrwacher, Prix du meilleur scénario), comme Capharnaüm (Nadine Labaki, Prix du Jury), Ayka dénonce l’inhumanité d’une société qui réduit les plus fragiles de ses membres à la misère et à l’invisibilité. Les deux derniers films cités étaient parmi les plus applaudis de la compétition et si on peut avoir des réserves vis-à-vis du misérabilisme à l’œuvre dans Capharnaüm, le jury a visiblement suivi la réalisatrice qui dit vouloir sensibiliser le public à des situations intolérables. Au passage, il a réussi à récompenser deux films de femmes sur trois présents en compétition (le troisième, Les filles du soleil d’Eva Husson, était irrécupérable !). Plus étrange est la décision de partager le Prix du scénario avec 3 visages de Jafar Panahi qui a réalisé ce long métrage malgré l’interdiction de faire des films à laquelle l’a condamné le régime iranien. Tourné clandestinement et sans doute en partie improvisé, il méritait plutôt le Prix de la mise en scène.

Ne pas donner ce Prix de la Mise en scène à Cold War de Pawel Pawlikowski aurait toutefois paru presque incongru, tellement la maîtrise formelle de ce film touche à une certaine perfection, que ce soit au niveau de l’image (sublime noir et blanc), du son, des décors ou du jeu des acteurs. De même, l’acteur italien Marcello Fonte, qui joue le Dogman de Matteo Garrone, n’avait pas de véritable concurrent dans la catégorie du meilleur interprète masculin. Certains auraient tout de même bien vu à sa place Vincent Lindon en héros syndicaliste dans En guerre de Stéphane Brizé mais Lindon avait déjà eu ce prix pour un rôle semblable dans La loi du marché du même réalisateur en 2015. A l’exception de Godard, le cinéma français, qui n’a pas brillé cette années sur la Croisette, est d’ailleurs complètement absent du palmarès.

Enfin le jury a attribué ses deux prix les plus importants à deux films très différents et deux cinéastes dont l’un (Kore-eda) est peu connu du grand public et l’autre (Spike Lee) souvent diffamé à tort.

Spike Lee et Adam Driver sur le tournage de BlacKkKlansman, Grand Prix du Jury

Parce que ses films créent la polémique (et qu’il ne rate pas une occasion de faire des déclarations à l’emporte-pièce), on a tendance à oublier que Spike Lee fait aussi partie des meilleurs réalisateurs de sa génération. Do the Right Thing (qui avait été scandaleusement ignoré à Cannes par le jury présidé par Wim Wenders en 1989) reste l’un des très grands films sur le racisme aux Etats-Unis alors que Summer of Sam ou 25th Hour sont des oeuvres originales et stimulantes qu’on a à tort un peu oubliées aujourd’hui. BlacKkKlansman n’a pas tout à fait les mêmes qualités que Do the Right Thing, mais c’est un film coup-de-poing, très drôle et jouissif, mené à 100 à l’heure avec beaucoup de références à la culture populaire afro-américaine, et une formidable claque à la figure de Trump et de ses adeptes. Cela valait bien un Grand Prix du Jury.

Quant à la Palme d’Or, elle récompense donc enfin et tout aussi justement un cinéma aux antipodes de celui de Spike Lee. Chez Hirokazu Kore-eda, qui est parfois comparé au grand cinéaste japonais Yasujirô Ozu parce qu’il raconte comme celui-ci des histoires de famille apparemment banales mais mises en scène avec une attention extraordinaire aux plus petites nuances, tout n’est qu’élégance et délicatesse. Dans son œuvre, il ausculte les fêlures de la société japonaise moderne, souvent à travers les relations entre parents et enfants comme ici dans l’émouvant et subtilement subversif Une affaire de famille (Shoplifters en anglais) à qui la Palme d’Or apportera, on l’espère, un public très nombreux.

Une affaire de famille de Hirokazu Kore-eda, Palme d’Or

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