(Viviane Thill) Depuis que la justice iranienne l’a condamné en 2010 à l’interdiction de faire des films pendant 20 ans, le réalisateur Jafar Panahi n’en a pas seulement réalisé quatre, tous présentés dans des festivals internationaux (deux à Berlin et deux à Cannes) où il n’a pas l’autorisation de se rendre, mais son oeuvre la plus récente est une déclaration d’amour au cinéma. Qu’il place en son centre le visage de trois femmes, rend le pied de nez aux autorités de son pays encore plus jouissif. Pourtant, 3 visages est un film étrangement serein, teinté d’une tendre ironie et parfois d’une douce auto-dérision. Panahi n’est d’évidence pas du genre à crier pour se faire entendre. Sa dénonciation du régime en place n’en est pas moins sans appel.
(c) Celluloid Dreams
Ce beau film sur le cinéma commence par un selfie. C’est dans la pénombre, en contre-plongée, que nous voyons d’abord Marziyeh (Marziyeh Rezaei). Quand elle s’adresse directement à l’actrice Behnaz Jafari (elle-même), elle sort de l’ombre comme on entre en scène et se lance dans un long monologue dans lequel elle accuse en pleurant la comédienne de ne pas avoir répondu à ses appels de détresse. Empêchée par sa famille de faire du cinéma, Marziyeh a donc décidé de se pendre et de filmer sa mort sur son portable. Mais ce suicide en presque direct (le message ne parvient qu’un peu plus tard, et par le détour de Panahi, à Behnaz Jafari) est-il vrai ou faux? Dans le contre-champ, c’est la destinataire du message qui le scrute sur son portable. Assise dans la voiture à côté d’un homme qu’elle appelle „M. Panahi“ mais que nous ne voyons pas, l’actrice, célèbre en Iran, est elle aussi au bord des larmes. Puis se demande si elle vraiment reçu un message de la jeune femme avant celui-ci. Pourquoi ce dernier message a-t-il alors été envoyé à Panahi et pas à elle? Et qui l’a d’ailleurs envoyé si la fille s’est pendue? Comme un scénariste défendant son script devant un producteur sceptique, Panahi trouve une justification à tous les points qu’elle soulève. Il se lance ensuite dans l’analyse des images du portable pour déterminer s’il pourrait s’agir d’un montage, donc d’un fake. Et enfin, il descend de la voiture, d’abord pour calmer au téléphone une réalisatrice qui vitupère parce que Jafari a quitté son tournage sans crier gare et ensuite pour rassurer sa mère qui s’inquiète et à qui il jure que non, il n’est pas en train de tourner clandestinement un film. La caméra nous le montre alors pour la première fois, encore de loin tandis que Behnaz Jafari passe et repasse devant les phares de la voitures comme devant des projecteurs.
(c) Celluloid Dreams
Le lendemain, l’actrice et le réalisateur arrivent dans le village où Marziyeh est supposée s’être pendue. Le film a été tourné dans le nord de l’Iran, dans la région natale de Panahi, là où les gens parlent turc plutôt que le farsi. Dans ces petits villages éparpillés dans des vallées majestueuses, on ne rigole pas avec les traditions et les règles. La virilité et l’honneur y préoccupent beaucoup les hommes mais le taureau hyper-viril qui doit ensemencer plusieurs dizaines de vaches meugle piteusement sur la route où il est tombé et va sans doute mourir, et le prépuce religieusement conservé durant 38 ans et confié par un villageois à Panahi – qui ne peut pas sortir d’Iran – pour qu’il le donne à un acteur qui ne peut plus y rentrer, rendra peu de services au réalisateur. Panahi et Behnaz Jafari vont chercher et trouver Marziyeh, réfugiée chez une ancienne star du cinéma d’avant la révolution islamique, qui, comme Panahi, n’a plus le droit de travailler. On ne verra jamais son visage alors que le réalisateur filme quelques secondes la jeune Marziyeh sans foulard et, dans une très belle séquence, il regarde, assis dans le noir, le théâtre d’ombres des trois actrices réunies, dansant ensemble dans la minuscule maison de l’ancienne star. Spectateur solitaire de son propre film dans lequel la caméra, souvent un peu en décalage, devient un personnage à part entière, Jafar Panahi rend aussi un hommage discret et touchant à son maître et ami Abbas Kiarostami, notamment dans la thématique du mélange entre réalité et fiction, dans certains moments au village et dans le beau dernier plan dans lequel les deux femmes s’éloignent de Panahi qui fait maintenant corps avec la caméra, et finissent par disparaître.
(c) Celluloid Dreams
Actuellement au cinéma.
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