forum_C : „A Star is Born“ de Bradley Cooper ★★☆☆☆

(Viviane Thill) Les producteurs à Hollywood sont de grands enfants. Comme ces derniers qui redemandent toujours la même histoire pour se rassurer, ils ont une peur bleue de l’inconnu. Alors, quand ils ne rebootent pas pour la énième fois la vie des superhéros et héroïnes, remettent au goût du jour des séries télé surannées ou s’échignent à multiplier les suites à des succès récents ou plus anciens, ils produisent des remakes de remakes.

(c) Warner Bros.

Quand A Star is Born est tourné une première fois en 1937 (par William Wellman avec Janet Gaynor et Fredric March), c’est déjà le remake inavoué d’un film sorti cinq ans plus tôt et intitulé What Price Hollywood ? de George Cukor, avec Constance Bennett qui était alors l’une des actrices les mieux payées d’Hollywood. Tout est d’emblée dans le film de Cukor. Il raconte l’histoire d’une serveuse qui veut devenir star et trouve un mentor en la personne d’un réalisateur célèbre et notablement plus âgé (Lowell Sherman). Celui-ci l’aidera à se hisser en haut de l’affiche tandis que lui-même sombre dans l’alcool. Ivre mort, il gâche le moment de gloire de la jeune femme (en l’occurrence la remise d’un Oscar) et finit par se suicider. George Cukor tournera également en 1954 la version sans doute la plus connue de A Star is Born avec Judy Garland et James Mason. En 1976, Frank Pierson (le moins doué des réalisateurs qui se sont attelés à la tâche) situe l’histoire dans le milieu de la musique rock, avec Kris Kristofferson et Barbra Streisand. Pour son premier film en tant que réalisateur, Bradley Cooper conserve le monde de la musique, se donne lui-même le rôle du mentor alcoolique et a la bonne idée de confier le rôle de la chanteuse débutante à Lady Gaga.

Tenant à la fois de Pygmalion et de Cendrillon, du rêve américain et du mélodrame, A Star is Born a ceci de particulier que c’est le personnage masculin qui doit se sacrifier pour laisser le champ libre à la femme. C’est plus évident dans les deux films où les protagonistes exercent le même métier d’auteur(e) et interprète de chansons. La mouture 2018 commence par un concert de Jack Maine et se termine par un autre d’Ally. Elle a littéralement pris sa place à l’écran même si elle interprète, pour lui rendre hommage, une chanson qu’il a écrite pour elle. Dans le Guardian, la journaliste Hadley Freeman, en comparant A Star is Born au conte de Cendrillon, écrit joliment que le personnage masculin est à la fois la bonne fée qui fait de Cendrillon une princesse, le prince qui l’épouse et la marâtre qui doit disparaître pour que Cendrillon puisse s’émanciper. Bradley Cooper (qui s’est fait une tête à la Kris Kristofferson !) interprète cette déchéance du chanteur toxico avec une délectation quasi masochiste.

L’auriez-vous reconnue? Lady Gaga dans A Star is Born (c) Warner Bros.

La révélation du film est toutefois Lady Gaga qui apparaît tout d’abord déguisée en drag queen et que Bradley Cooper (le réalisateur et son personnage) démaquille pour la faire apparaître comme vous ne l’avez sans doute jamais vue : au naturel. Elle se trouve moche et son nez lui paraît trop grand, et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle n’arrive pas à faire carrière. Jack lui apprend à faire confiance à son talent mais ne pourra empêcher plus tard le relooking physique (qui semble toutefois épargner le fameux nez) et musical que lui impose un producteur aussi efficace que cynique. Le film ne fait qu’effleurer cette critique d’un show business où seules comptent les apparences : Ally accepte très vite le changement de style du moment qu’il lui vaut un Grammy (malheureusement gâché par l’intervention pathétique de Jack). Elle deviendra non pas Lady Gaga mais une chanteuse beaucoup plus formatée et docile, à l’instar du film lui-même, qui égrène sagement les étapes imposées il y a plus de 80 ans par What Price Hollywood ? Verrouillé et laborieux, le scénario ne recule pas plus devant la philosophie de supermarché (sur la fratrie, le rapport au père, etc.) que devant le chien fidèle qui veille son maître jusqu’au bout ou la larme isolée coulant sur la joue d’Ally pendant le final.

 Ni le naturel inattendu de Lady Gaga (qui avait d’ailleurs songé à reprendre son vrai nom pour ce film) ni les très réels talents de réalisateur – et de chanteur – dont fait preuve Bradley Cooper, quelques jolies chansons ou même l’alchimie évidente entre les deux vedettes, ne parviennent dès lors à sauver véritablement le film qui apparaît avant tout – selon le regard du spectateur ou de la spectatrice – comme une belle et tragique histoire d’amour fou ou un long et sirupeux mélo. Disons que je penche plutôt vers le deuxième.

 

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