forum_C : „Girl“ de Lukas Dhont★★★★★

(Viviane Thill) L’adolescence est par définition le moment d’une transformation physique brutale qui engendre souffrance, manque d’assurance et solitude. A 15 ans, Lara vit ce moment à la puissance dix. Fille née dans un corps de garçon, elle rajoute aux maux habituels de la puberté, le combat contre un corps qui lui devient de plus en plus étranger et qu’elle va impitoyablement forcer à se plier non seulement à l’anatomie féminine mais à cette représentation sublimée de la femme qu’est la danseuse classique. Lara veur devenir danseuse étoile.

 

(c) Menuet Producties

« Lara, Lara » chuchote son petit frère Milo alors que l’image est encore noire et, comme une formule magique, le nom fait surgir dans une lumière chaude la fille qui le porte. C’est un moment d’une grande douceur qui lie le petit frère et la grande sœur. Mais sitôt Milo sorti de la chambre, Lara presse de toutes ses forces ses orteils contre le rebord du lit car elle doit les durcir, les préparer aux pointes. Son corps est pour Lara une chose qu’il lui faut transformer par la force et dans la douleur. Quand son père arrive un peu plus tard dans la salle de bain, elle est en train de se percer l’oreille pour y introduire un bijou. « Voilà, c’est fait », dit-elle et fait semblant de ne pas sentir la plaie.

Quand Lara sort dans la rue, la caméra la suit en la filmant de dos et on pense à Rosetta. A première vue, Lara est tout le contraire de l’héroïne des frères Dardenne: douce et féminine, toujours souriante, qu’elle se trouve face à la directrice de l’école de danse qui accepte de la prendre à l’essai, à ses nouvelles camarades ou aux docteurs qui lui expliquent qu’il va falloir être patiente, attendre deux ans avant « l’opération » et commencer par prendre des hormones qui vont lentement – beaucoup trop lentement – transformer son corps. Mais ce sourire est un masque derrière lequel la jeune fille cache la même détermination à toute épreuve que Rosetta, et la volonté de parvenir coûte que coûte aux buts qu’elle s’est fixés.

 

(c) Menuet Producties

Pour cela, elle martyrise son corps jusqu’au sang et garrotte littéralement le pénis qu’elle abhorre. Certaines associations trans ont reproché au film de montrer la transidentité comme une souffrance en soi alors qu’il dit tout au contraire que c’est l’incapacité à reconnaître qu’il puisse exister une dissociation entre le sexe physique et l’identité sexuelle, qui engendre cette souffrance. La caméra suit encore et encore Lara qui tente de s’élancer vers le ciel sur ses pointes, comme pour échapper à son corps. Dans son désir de perfection, son obsession de voir enfin dans les miroirs la femme et la danseuse qu’elle rêve de devenir, Lara va finir par mettre en péril la transformation qu’elle appelle de ses voeux. C’est ce combat intérieur, celui d’une adolescente qui veut tout simplement ressembler aux autres filles, et non la lutte militante contre des oppositions extérieures qui n’existent guère ici, que met en scène brillamment Lukas Dhont et qu’interprète avec une grâce touchante son jeune acteur Victor Polster*.

Ne sachant ou n’osant exprimer des sentiments qu’elle peine elle-même à définir, pas tout à fait sûre si elle aime les filles ou les garçons, meurtrissant son corps et muselant ses émotions, Lara est avant tout un personnage solitaire, jamais à l’aise parmi les autres, toujours filmée à part, isolée sans qu’on ne sache si c’est de sa faute ou de celle des autres. Lukas Dhont montre toute l’étendue de son talent dans la séquence attendue où Lara doit se dénuder devant ses camarades, seule scène ouvertement cruelle mais nullement réservée aux transgenres, beaucoup d’adolescent(e)s se reconnaissant sans doute d’une façon ou d’une autre dans l’humiliation vécue à ce moment-là par Lara.

(c) Menuet Producties

Dès ses courts métrages, le réalisateur flamand Lukas Dhont a mis en scène des enfants et adolescents et aussi un danseur. Il dit avoir eu lui-même beaucoup de mal à accepter son homosexualité qui le différenciait des autres et des normes toujours dominantes, et c’est pourquoi l’histoire vraie d’une jeune danseuse née dans un corps de garçon l’a impressionné au point d’en faire le sujet de son premier long métrage dans lequel il fait preuve d’une rare maturité en matière de mise en scène, de scénario et de direction d’acteurs. Le travail sur le son et la lumière – avec son directeur de la photographie Frank van der Eeden, il s’est référé au mythe d’Icare pour évoquer par la lumière le trajet de Lara qui finira par se brûler les ailes à force de vouloir toujours aller plus haut – est magistral.

« Girl » est un film physique, à la fois cru et pudique, sur le corps, notre envie de le formater, les limites qu’il nous impose et le désir universel de les dépasser. C’est aussi un film sur une personne trangenre et l’une de ses qualités est de nous faire ressentir ce que signifie avoir une identité sexuelle qui n’est pas en accord avec son corps dans une société qui ne reconnaît toujours que deux sexes bien définis. Dhont y parvient sans aucun sensationnalisme, y compris dans la choquante avant-dernière séquence qui fait écho au début du film mais ne le termine pas, le réalisateur ayant l’intelligence de laisser son héroïne sortir du tunnel et le spectateur ébranlé d’un film qu’il n’oubliera pas de sitôt.

Girl a reçu au Festival de Cannes la Caméra d’Or pour le meilleur premier long métrage. Le fil est en salle au Luxembourg.

* On a aussi reproché à Lukas Dhont d’avoir pris un jeune homme cisgenre pour interpréter une personne transgenre. Le réalisateur répond à cela qu’il a fait un casting avec des filles, des garçons et des transgenres et a choisi l’interprète le plus apte, en tant qu’acteur et danseur, de tenir le rôle.

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