forum_C : „Dilili à Paris“ de Michel Ocelot★★★★★

(Viviane Thill) Depuis Walt Disney (autant dire depuis toujours), le film d’animation vit sur un malentendu. Il est perçu universellement comme un cinéma réservé aux jeunes enfants. Ce n’est pourtant plus le cas depuis longtemps, ne l’a peut-être jamais été, mais cet apriori continue de handicaper de très beaux films qui ne trouvent pas leur public pour cette raison (l’excellente coproduction luxembourgeoise The Breadwinner est une victime récente).

Michel Ocelot, lui, dit qu’il n’a jamais fait de films « pour enfants » (dans la revue Positif no. 692). Il lui arrive de faire des films dont les enfants sont les protagonistes, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. En cela, il se rapproche de François Truffaut qu’il cite d’ailleurs discrètement dans la première séquence de Dilili à Paris. Ocelot fait en effet beaucoup mieux que des films « pour enfants », il fait des films sur des sujets graves et importants, qui parlent aux enfants et émerveillent les adultes.

Dilili n’est pas grande mais elle est vaillante (c) Nord-Ouest

Son plus grand succès est Kirikou, le petit Africain qui n’est pas grand mais qui est vaillant. Depuis, Ocelot a réalisé Azur et Asmar qui évoque l’admirable civilisation arabe (à contre-courant des représentations actuelles du monde musulman) mais n’a pas connu la même célébrité. Aujourd’hui, avec Dilili, il donne une petite sœur à Kirikou. Tout aussi petite, toute aussi vaillante et courageuse, Dilili plaide, comme Azur et Asmar, pour la fraternité et la tolérance à travers l’éloge de la beauté et de la poésie.

L’ouverture en clin d’œil semble nous replonger dans le monde de Kirikou : des femmes aux seins nus qui font la cuisine, une petite fille qui épluche les légumes et se fait gronder dans une langue inconnue. Mais quand la caméra recule, on s’aperçoit qu’on est à Paris, vers l’an 1900, et ce qu’on vient de voir, c’est un village canaque exposé au Jardin d’Acclimatation. Deuxième surprise : la journée terminée, la fillette à moitié nue qui épluchait les légumes, apparaît aux portes du Jardin en belle robe blanche et il s’avère qu’elle parle un français parfait. La petite métisse (son père est Français, sa mère Canaque mais elle n’a connu ni l’un ni l’autre) est venue de son plein gré en France pour découvrir Paris et, ayant rempli son contrat au Jardin d’Acclimatation, est désormais libre de se promener dans la capitale avec son nouvel ami Orel, très beau jeune coursier aux multiples talents et heureux propriétaire d’un triporteur qui va servir de carrosse à Dilili.

M. Proust au téléphone (c) Nord-Ouest

Pour le plus grand bonheur de Dilili qui veut tout apprendre, et pour le nôtre, Orel connaît du beau monde à Paris. On part donc à la rencontre de Marie Curie, de Marcel Proust, de Gustave Eiffel, Picasso, Matisse, Pasteur, Toulouse-Lautrec, la Goulue, Colette, Paul Poiret, Erik Satie, Debussy, Suzanne Valadon et beaucoup d’autres. On visite le Bateau Lavoir, le Moulin Rouge et l’Irish-American Bar où l’on voit danser le clown Chocolat. Ocelot nous plonge au sein des œuvres de ces artistes, fait converser l’actrice Sarah Bernhardt et la révolutionnaire Louise Michel, s’arrête sur les sculptures de Rodin et Camille Claudel, donne vie à des affiches de Toulouse-Lautrec et enchaîne sur un french cancan endiablé qui fait dire à un personnage, outré, que « ce n’est pas un spectacle pour les enfants ». A quoi Dilili lui répond qu’elle est parfaitement capable d’apprécier la beauté et le talent des danseuses.

(c) Nord-Ouest

Mais ce Paris – magnifiquement reconstitué à partir de photos traitées numériquement et dans lesquelles les personnages ont été incrustés – où se côtoient artistes, scientifiques et inventeurs, est menacé par une mystérieuse secte, les « mâles maîtres », qui enlèvent les petites filles pour les rééduquer et les remettre à leur place „naturelle“: celle de servantes et d’esclaves des hommes. Dilili, Orel et leur amie Emma Calvé, soprano célèbre à l’époque et quelque peu excentrique, se lancent à leur recherche et découvrent le sort terrible que ces hommes vêtus de noir font subir aux femmes. On ne peut pas ne pas penser aux lycéennes enlevées par Boko Haram ou aux femmes Yezidies réduites en esclavage par l’Etat islamique. Mais on pense aussi aux femmes soumises dans A Handmaid’s Tale. L’intention de Michel Ocelot n’est pas de mettre en cause une religion mais de dénoncer ce que les hommes font aux femmes, partout et toujours. Alors, il montre une fillette et des femmes talentueuses, intelligentes, courageuses, qui, avec leurs amis hommes, libèrent les filles enlevées et les rendent à leurs familles.

(c) Nord-Ouest

On cite souvent la phrase célèbre d’André Malraux: « Par ailleurs, le cinéma est une industrie ». Elle est vraie plus encore pour l’animation qui mobilise des équipes et des moyens considérables. Dilili à Paris a coûté 6 millions d’euros, ce qui est beaucoup pour un film d’animation européen mais ridicule comparé aux budgets hollywoodiens. Il donne pourtant envie de retourner la formule de Malraux : ce cinéma-là est avant tout de l’art. Chaque image est un enchantement. La précision du dessin (on voit jusqu’aux trémolos de la soprano quand elle chante Carmen, on admire l’élégance des chevaux, la magnificence des costumes et des accessoires), les couleurs chatoyantes, les décors majestueux, tout contribue à faire de ce film un chef-d’œuvre, à voir par tous.

Dilili à Paris est actuellement à l’affiche au ciné Utopia mais uniquement dans la case „enfants“ de l’après-midi.

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