forum_C : „Utøya: July 22“ d’Erik Poppe ★★★☆☆ et „22 July“ de Paul Greengrass ★★☆☆☆

(Viviane Thill) Deux films consacrés au massacre du 22 juillet 2011 sur l’île d’Utøya en Norvège sont disponibles cette semaine, l’un sur les écrans de cinéma et l’autre sur Netflix.

Réalisé par le cinéaste norvégien Erik Poppe, parlé en norvégien, Utøya: July 22 a été présenté au Festival de Berlin 2018. Erik Poppe est un cinéaste respecté en Norvège, son film The King’s Choice a été nommé pour l’Oscar du meilleur film étranger en 2017. En revenant sur l’épisode le plus traumatisant de l’après-guerre dans son pays, il a voulu rendre hommage aux victimes, celles, dit-il, dont on est déjà en train d’oublier les noms alors que celui de leur assassin Anders Behring Breivik restera gravé dans les mémoires.

Utøya: July 22 (c) Paradox

A partir des témoignages de plusieurs survivants avec lesquels il a étroitement collaboré, il a imaginé un personnage fictif, Kaja (Andrea Berntzen), jeune fille idéaliste et engagée, qui nous toise dès l’entrée en matière du film en nous regardant droit dans les yeux pour nous dire « Tu ne comprendras jamais. Ecoute-moi ». Ce moment de distanciation brechtienne est immédiatement brisé quand Kaja se retourne et l’on se rend compte qu’elle parle au téléphone à sa mère. Mais il installe le film dans un étrange noman’s land, entre réalisme et artificialité, qui ne se dilue jamais tout à fait.

Cette impression est accentuée par la décision de filmer toute l’action en un seul plan et en temps réel, du moins en apparence car le film a en vérité été tourné en trois jours. Sauf au début où l’on découvre le premier attentat à Oslo par le biais de caméras de surveillance, et à la toute fin, la caméra ne quitte jamais Kaja. D’abord, le procédé irrite mais il trouve rapidement sa raison d’être. A aucun moment, le public n’en sait (théoriquement) plus que Kaja et pas plus qu’elle, il ne peut prendre de la distance avec ce qui est en train d’arriver. Ce que le film essaie de faire ressentir (et il y arrive au moins partiellement), c’est la panique et la désorientation totale de jeunes gens face à un mystérieux tueur qui ne se révèle à eux que par le bruit plus ou moins rapproché des coups de feu (excellent travail sur la bande sonore). L’assassin n’est jamais montré, il reste une vague silhouette aperçue au loin, une entité abstraite qui tend ainsi vers une sorte d’incarnation du mal absolu.

En évacuant de l’espace du film toute information concernant le tueur ou ce qui se passe ailleurs, le réalisateur s’adresse en premier lieu à son public norvégien pour lequel Utøya: July 22 doit fonctionner comme catharsis. Mais l’abstraction même de la situation fait que le même film suscite auprès d’un public moins directement concerné par ces attentats, une réflexion plus générale sur une violence de plus en plus présente dans notre quotidien, celle de tueries qui peuvent viser n’importe qui, n’importe quand et n’importe où. A contre-courant de la vague de films d’action qui envahissent nos cinémas (et les jeux vidéo qu’affectionnait apparemment Breivik) et veulent nous faire croire que la violence peut être vaincue par la violence, Poppe montre au contraire une violence dont aucun héros ne peut nous protéger. Kaja est courageuse, elle se met en danger pour sauver sa jeune sœur mais ses efforts sont vains, une conclusion que n’aurait certainement pas osé le cinéma américain.

Produit et diffusé par Netflix, 22 July, est à tout point de vue à l’opposé exact du film de Poppe. Interprété par des acteurs norvégiens mais qui parlent anglais, le film vise d’emblée un public international. Il est réalisé par le Britannique Paul Greengrass, auteur de la série des Jason Bourne mais également spécialiste de la reconstitution de tueries et actes terroristes (Bloody Sunday, 2002; Omagh, 2004; United 93, 2006; Captain Phillips, 2013).

Au personnage unique de Poppe, il oppose l’éclatement des points de vue, au temps réel de l’attaque une durée qui s’étend de la préparation des attentats jusqu’à la fin du procès. Greengrass s’attache aussi longuement au personnage de Breivik (Anders Danielsen Lie). Il monte en parallèle le destin de Breivik et celui du jeune Viljar (Jonas Strand), gravement blessé à Utøya (en tentant de protéger son jeune frère), qui revient à la vie tandis que le film déclare l’action de Breivik un « échec ». Contrairement à Poppe qui ne nous fait rien vivre d’autre que l’expérience d’une violence brutale faisant irruption dans le quotidien de jeunes gens insouciants, Greengrass veut tout expliquer : les motivations de Breivik, celles de son avocat, les réactions des survivants, celles des parents des victimes, de la mère du tueur, de la femme de l’avocat, etc. Mais de trop nombreux personnages restent du coup schématiques, beaucoup de thématiques sont juste effleurées. Le film a cependant l’avantage de mettre l’accent sur les dangers de l’extrême-droite et (message à Trump ?) de montrer comment la Norvège a réussi à rester fidèle à ses valeurs démocratiques malgré ces attentats. La réflexion porte donc ici moins sur la nature de la violence que sur la façon d’y faire face.

La porte de la cellule qui se referme sur Breivik tandis que Viljar reprend ses études (comme nous l’apprend un panneau avant le générique), met un terme au traumatisme dans le film de Greengrass. Comme il se doit dans un film américain, la démocratie a été sauvée. Le cauchemar que nous fait vivre le film norvégien est, lui,  loin d’être terminé.

22 July (c) Netflix

Utøya: July 22 d’Erik Poppe est actuellement au cinéma; 22 July de Paul Greengrass est en diffusion sur Netflix.

 

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