„Shoplifters“ de Hirokazu Kore-eda ★★★★★

(Viviane Thill) C’est une petite maison, coincée dans un quartier résidentiel. Pas une maison traditionnelle japonaise comme celles que l’on voit dans les films d’Ozu ou de Mizoguchi, avec les portes coulissantes en papier et la véranda en bois. On est plus proche de la baraque et à l’intérieur ne règne pas l’épuration zen mais un inattendu capharnaüm. Les objets s’entassent par strates successives ou traînent par terre, sans doute arrivés un jour par hasard puis restés là. Un peu comme arrive, le soir où commence le film, la petite Yuri, fillette triste de 5 ans, qui porte des bleus et des brûlures. Elle a faim, alors on lui donne à manger. Plutôt que de la ramener ensuite chez elle, dans sa famille « naturelle » (comme dirait un homme politique luxembourgeois) où visiblement elle reçoit peu d’amour, Osamu Shibata et sa femme Nobuyo décident de la garder. « Elle nous a choisis » dit Nobuyo et cela lui suffit pour justifier leur décision.

2018 Fuji Television Network / Gaga Corporation / AOI Pro. Inc. All Rights Reserved

Dans son nouveau film Shoplifters, le réalisateur japonais Kore-eda sonde une fois de plus les liens familiaux. Son œuvre la plus connue jusqu’à présent était Tel père, tel fils (2013) dans laquelle des enfants étaient intervertis par erreur à la naissance. Il posait la question des liens du sang par opposition aux liens affectifs mais thématisait aussi les différences de classes sociales dans un Japon ultra-libéraliste. Shoplifters reprend en partie les mêmes thèmes mais de façon plus fine, plus émouvante et, en fin de compte, plus cruelle.

On comprend vite que les Shibata sont pauvres et survivent grâce à de petites entorses à la loi. Le père et le fils volent dans les magasins, la belle-sœur est strip-teaseuse et la rente de la grand-mère ne semble pas venir des caisses de l’Etat. Survivant aux marges d’une société qui les ignore la plupart du temps, ils se sont forgé un cocon où ils se tiennent mutuellement chauds. Le film procède par petites touches, nous racontant les relations entre les différents membres de la famille en lesquels nous identifions spontanément la grand-mère Hatsue, le père Osamu, la mère Nobuyo, la belle-sœur Aki, le fils préadolescent Shota. Tous, y compris les enfants, sont formidablement interprétés. Kore-eda nous les fait aimer tant et si bien qu’on passe par-dessus quelques bizarreries : pourquoi les enfants ne vont-ils pas à l’école, pourquoi le fils rechigne-t-il à appeler Osamu « papa », pourquoi les services sociaux semblent croire que Hatsue vit seule dans la maisonnette ? Et pourquoi Saki veut savoir ce qui lie Osamu à Nobuyo ?

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« L’argent » répond-t-il en riant. Presque en passant, Kore-eda peint une société où une blessure met au chômage un ouvrier, où un chef d’entreprise force ses employées à décider elles-mêmes laquelle sera licenciée, ou une jeune femme doit gagner sa vie en mimant des actes sexuels devant des clients aussi perdus qu’elle. Où quand on demande à Osamu pourquoi il apprenait à son fils à voler, il répond: „Parce que je n’avais rien d’autre à lui enseigner.“ C’est touchant et dur à la fois mais le film ne dévoile son véritable secret que vers la fin, quand Shota commence à se rebeller et se fait arrêter lors d’un vol à l’étalage.

C’est alors comme si le sol se dérobait sous les pieds du spectateur. Tout à coup, la mise en scène nous met à la place des policiers qui interrogent les différents protagonistes. Et ce que nous apprenons nous force à reconsidérer tout ce qui précède. Qu’est-ce qui est juste? Qu’est-ce qui est mal? La loi n’a pas toujours raison mais de devoir survivre avec les moyens du bord n’excuse pas non plus tout.

A mille lieues de la sacralisation de la famille à l’œuvre dans les films américains (et de plus en plus aussi européens), Kore-eda dit qu’il y a des trahisons qui n’empêchent pas l’amour et que rien n’est jamais simple ni surtout ne peut être jugé du dehors. Shoplifters est une oeuvre qui interroge, trouble et bouleverse le spectateur, ce qui en fait une belle Palme d’Or.

 

 

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