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forum_C : „Les chatouilles“ d’Andréa Bescond et Eric Métayer ★★★★☆
(Viviane Thill) Il y a quelques semaines, Un amour impossible de Catherine Corsini, d’après le roman autobiographique de l’écrivaine Christine Angot, racontait l’histoire d’un inceste perpétré par un père sur sa fille illégitime. Dans un final d’une assez maladroite lourdeur, l’auteure elle-même (interprétée par Jehnny Beth) analysait le comportement de son père : s’il a abusé de sa fille adolescente, c’était pour mieux asséner sa supériorité sur la mère de cette dernière, qu’il a pris un plaisir quasi pervers à rabaisser tout au long de sa vie. L’inceste n’était qu’une humiliation de plus visant à anéantir son amante dont la seule faute avait été de l’aimer follement et d’être issue d’un milieu supposé inférieur au sien.
(c) Les Films du Kiosque
Il n’y a pas d’analyse sociologique de ce genre et pas de différence de classe dans Les chatouilles, autre fiction largement autobiographique écrite, coréalisée et interprétée par Andréa Bescond. Elle ne s’intéresse pas aux motivations du coupable. Le film se concentre tout entier sur la souffrance de la victime. Il évoque de façon crue le viol et le traumatisme de la petite Odette (Cyrille Mairesse) qui rêve de devenir danseuse étoile et vit dans la terreur des prochaines vacances avec Gilbert (Pierre Deladonchamps). Le gentil ami de la famille que ses parents adorent, entraîne régulièrement la fillette dans la salle de bain pour lui faire « des chatouilles ». Tétanisée, elle n’arrive ni à lui résister ni à en parler à ses parents.
(c) Les Films du Kiosque
Odette ne va pas devenir étoile à l’Opéra mais quand même danseuse. Après l’alcool, la drogue et une sexualité destructrice, la danse sera son refuge et sa catharsis. Quand son corps s’arcboute et se tortille comme mu par une énergie incontrôlable, on a l’impression d’assister à des scènes d’exorcisme. Mais rien n’y fait et Odette va devoir apprendre à mettre des paroles sur ce qui lui est arrivé pour pouvoir espérer y survivre. Car son traumatisme est double : il y a bien sûr le viol lui-même, mais tout aussi insupportable est le fait qu’il soit ignoré des parents et de la société. La petite Odette se retrouve abandonnée à elle-même entre un père (Clovis Cornillac) trop tendre et bienveillant pour soupçonner le pire, et une mère murée dans son aveuglement et la peur du qu’en dira-t-on. Qu’elle arrive à laisser entrevoir la détresse intérieure de cette mère monstrueuse est une preuve du talent de son interprète Karin Viard.
Le film raconte ce long chemin vers l’énonciation de l’innommable qu’Odette va faire en compagnie d’une psy légèrement dépassée (Carole Franck). D’emblée, Odette/Andréa Bescond balaie d’un revers de main les rituels et les règles de la psychologie, de la danse et du cinéma. Les chatouilles est un film fourre-tout où la réalité, les souvenirs et les fantasmes s’entrechoquent et qui, comme Odette, fonce, emportant tout sur son passage. Comme dit le prof de danse (interprété par le coréalisateur Eric Métayer) : c’est top sur l’émotion mais ça manque de technique. Son commentaire vaut très consciemment aussi pour le film. En adaptant à l’écran leur spectacle Les chatouilles ou La danse de la colère (qui avait valu à Bescond le Molière de la meilleure « Seule en scène » en 2016), Andréa Bescond et Eric Métayer ne donnent pas toujours dans la finesse, mais ils apportent à un sujet tabou un punch, une fantaisie et même des touches d’humour totalement inattendus. A défaut d’une mise en scène artistique toujours convaincante, Les chatouilles est un film vital qui peut aider à débloquer la parole.
Le film est actuellement à l’affiche au ciné Utopia.
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