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forum_C : „The Ballad of Buster Scruggs“ de Joel et Ethan Coen ★★★★★
(Viviane Thill) Aux grands noms passés du côté de Netflix, il faut donc désormais ajouter celui des frères Coen ! En novembre est sorti sur la plateforme The Ballad of Buster Scruggs, un western drôle et violent, après une présentation (et le prix du meilleur scénario) au festival de Venise, suivie d’une semaine en exclusivité dans un cinéma à New York. C’est une double première puisque c’est aussi leur premier film tourné sur support numérique. Leur directeur de la photo Bruno Delbonnel avec lequel ils avaient déjà travaillé sur Inside Llewyn Davis (l’un de leurs chefs-d’œuvre et sans doute le film le plus mélancolique de l’histoire du cinéma !) les a encouragés dans ce sens. Et puis il y avait les aléas climatiques et la difficulté à diriger des chevaux, des poules et des mouches, tout cela plus facile à maîtriser avec le numérique. Ils ont donc accepté de sauter le pas.
James Franco dans „Near Algodones“ (c) Netflix
Et comme s’ils avaient voulu explorer les limites autant du support que de la plateforme Netflix, les Coen ont réalisé pour le petit écran de l’ordinateur un film dont l’un des thèmes explicites sont les grands espaces des westerns ! En saturant les couleurs, en effectuant un véritable travail de peintre sur le contraste et la luminosité de paysages mythifiés par un siècle de westerns, ils créent un monde à la fois familier et étrange. Familier parce que ces paysages, les personnages et les situations appartiennent à l’iconographie classique du genre. Etrange parce que, tout en multipliant les clins d’œil et les références qui leur permettent de relier la diligence de Stagecoach (John Ford, 1939) à celle de The Hateful Eight (Quentin Tarantino. 2015) ou les convois de pionniers de The Big Trail (Raoul Walsh, 1930) à ceux de Meek’s Cutoff (Kelly Reichard, 2010), tout en faisant un tour par les décors des westerns spaghetti, ils superposent à leurs six histoires leur vision de l’existence (pour résumer : la vie est absurde et à la fin on meurt !) et un commentaire à peine dissimulé sur le monde tel qu’il va aujourd’hui.
L’épisode Meal Ticket dont la cruauté n’a d’égal que le raffinement, raconte ainsi l’histoire d’un forain (Liam Neeson) qui promène de camp en camp un homme-tronc (Harry Mellling).
Harry Melling dans „Meal Ticket“ (c) Netflix
Des heures durant, ce jeune freak au visage d’ange récite Shakespeare, la Bible et le discours d’Abraham Lincoln qui promet à Gettysburg un gouvernement « of the people, by the people, for the people ». L’insistance sur cette citation est en elle-même un camouflet adressé au président actuel des Etats-Unis. Le public de cette récitation, quand il prend le temps d’écouter les grands textes (à défaut d’autres divertissements), paraît subjugué mais finira un jour par préférer au talent du comédien le spectacle d’un vulgaire bonimenteur qui exhibe une poule savante. Grandeur et décadence de l’industrie du divertissement.
Tout aussi déchirant est l’épisode The Gal Who Got Rattled dans lequel Zoe Kazan reprend le rôle de l’ingénue pionnière qu’elle avait déjà tenu huit ans auparavant dans Meek’s Cutoff, western féministe de Kelly Reichardt que peu de gens ont vu mais qui a visiblement marqué les frères Coen.
Zoe Kazan dans „The Gal Who Got Rattled“ (c) Netflix
Dans le film de Reichardt, la jeune actrice était une femme que la peur d’une attaque indienne rendait peu à peu folle. Ici, elle se trouve confrontée brutalement à ces guerriers tant redoutés. On apprend alors que ce qui tue plus sûrement que les Indiens, c’est la peur des Indiens ! Autre allusion à l’Amérique raciste de Trump qui voit un ennemi en toute personne non blanche et non anglo-saxonne, et ne fait ainsi que se détruire elle-même. Mais The Gal Who Got Rattled est aussi la plus tendre et la plus triste histoire d’amour vue depuis longtemps sur un écran, quel qu’il soit.
La peur viscérale de la ‘souillure sexuelle’, suggérée à mi-mots dans The Gal, fait écho à la thématique sous-jacente de The Searchers (John Ford, 1956), mais sans son faux happy-end. The Gal se clôt sur l’incapacité de donner un sens à l’absurdité du destin et de la condition humaine: „Mr. Arthur had no idea what he would say to Billy Knapp.“ The Ballad est aussi une réflexion sur le rôle et le pouvoir de la parole. N’est-ce pas le flot de paroles du normalement si taciturne Mr. Arthur (Grainger Hines) qui provoque la fin dans The Gal ? La poésie du jeune comédien dans Meal Ticket porte au contraire l’espoir d’un monde meilleur et plus juste. Et sa chanson et ses monologues servent au chercheur d’or (Tom Waits) dans All Gold Canyon (e.a. une réflexion sur la relation entre l’homme et la nature) à vaincre la solitude. Quand elle devient chanson, récit ou conte, la parole nous sert ainsi à lutter contre l’angoisse existientielle… ou à nous en distraire comme l’explique l’inquiétant chasseur de prime (Jonjo O’Neill) dans le dernier épisode. Jusqu’à ce que la mort frappe.
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