forum_C : Luxembourg City Film Festival (2)

(Viviane Thill) Lorsque le long métrage Funan (Denis Do, 2019) est sorti en France il y a 10 jours, les producteurs se sont rendu compte que les cinémas avaient programmé le film quasi uniquement dans la case ‚enfants‘ en début d’après-midi. Ils ont dû intervenir pour qu’il ait droit également à des séances plus tardives et puisse être vu par le public adulte auquel il s’adresse aussi. La décision initiale des exploitants ne tient pas au sujet du film – il raconte le combat d’une femme cambodgienne pour survivre avec sa famille sous le règne des Khmers rouges! – mais était dû au seul fait qu’il s’agit d’un film d’animation. Dans la tête des producteurs, des exploitants et des spectateurs, cinéma d’animation égale toujours cinéma pour enfants.

Funan  (c) Bac Films

Que cela n’a pas toujours été le cas et ne devrait plus l’être, voilà ce qu’a tenté de démontrer Stephan Roelants lors d’une master-class dans le cadre du Luxembourg City Film Festival. Producteur et dirigeant de Mélusine Productions, il s’engage depuis longtemps pour un cinéma d’animation de qualité, esthétiquement diversifié et ambitieux dans le propos. On lui doit notamment le merveilleux Song of the Sea (Tomm Moore, 2014) inspiré d’un conte irlandais, mais également The Breadwinner (Nora Twomey, 2017) sur une petite fille obligée de se déguiser en garçon sous le règne des Taliban en Afghanistan, Ethel and Ernest (Roger Mainwood, 2016) d’après l’autobiographie dessinée de Raymond Briggs ou encore une mise en images de nouvelles d’Edgar Allan Poe, inspirée de différents peintres européens (Extraordinary Tales, Raul Garcia, 2013).

L’animation est pratiquement née avec le cinéma et, comme celui-ci, elle s’adressait spontanément à un public familial. Elle a été aussi très vite utilisée pour visualiser ce qui ne pouvait pas l’être autrement. Le torpillage du paquebot Lusitania en 1915 par les Allemands n’avait ainsi pas été filmé mais a été reconstitué grâce à l’animation et conçu spécifiquement par le réalisateur Winsor McCay (l’un des maîtres oubliés de l’animation) pour soutenir l’entrée des Etats-Unis dans la première guerre mondiale (The Sinking of the Lusitania, 1918). L’animation servira à nouveau pendant la seconde guerre mondiale de support pour la propagande antinazie (clairement destinée aux adultes) et sera, de façon générale, longtemps présente sous forme de courts métrages dans les avant-programmes précédant les longs métrages.

The Sinking of the Lusitania (Winsor McCay, 1918)

Le format court devient alors un formidable terrain d’expérimentation pour des cinéastes qui s’en donnent à coeur joie. Tex Avery est le nom qui vient à l’esprit mais il y en avait beaucoup d’autres qui rivalisaient d’inventivité et de folie créatrice pour faire naître des univers et des personnages plus déjantés les uns que les autres. A la télévision, on peut citer Les Shadoks (1968-1973) à la ORTF ou les Simpsons (à partir de 1989) plus récemment. Cette ambition artistique était d’ailleurs aussi à l’oeuvre autrefois dans les longs métrages, y compris ceux réalisés par Walt Disney qui mettait à contribution les courants esthétiques les plus divers et faisait travailler les animateurs les plus talentueux. On était alors très loin de l’uniformisation stylistique qui caractérise la production actuelle et qui offre aux enfants (puisque l’animation commerciale s’adresse dorénavant surtout aux enfants) une vision appauvrie et aseptisée des arts visuels et du monde. Grâce aux sommes gigantesques investies depuis quelques années par les grands studios (surtout américains) dans la commercialisation de leurs productions et le rouleau compresseur des produits dérivés qui inondent le marché, quelques recettes de plus en plus standardisées monopolisent désormais l’attention et les goûts du public et imposent un style et un discours uniformisé au détriment de films plus originaux et plus complexes. Pour attirer les adultes, on ajoute l’une ou l’autre référence qui donnent à ces derniers l’impression d’en savoir plus que leurs enfants, et le tour est joué.

Le court métrage continue certes d’être un lieu d’expérimentation mais ces petits chefs-d’œuvre sont dorénavant très peu vus en-dehors de quelques festivals spécialisés et de rares (et tardifs) créneaux sur l’une ou l’autre chaîne de télévision. Les choses semblent toutefois en train de changer. Le renouveau est en partie venu du Japon où les deux fondateurs du célèbre Studio Ghibli, Isao Takahata et Hayao Miyazaki, ont commencé à produire dans les années 1980 des films poétiques sur des sujets contemporains (la guerre et l’écologie, e.a.) ou philosophiques qui s’adressent aux adultes aussi bien qu’aux enfants. La sélection de Persepolis (Marjane Satrapi, 2007) et de Valse avec Bashir (Ari Folman, 2008) en compétition à Cannes et le succès international de ces deux films a également constitué un coup de pouce déterminant. Ces deux productions utilisent la distanciation inhérente à l’animation pour parler de sujets difficiles et ainsi toucher un public qui hésiterait à voir des films sur les mêmes thèmes en images réelles. Les coproductions luxembourgeoises The Breadwinner et Funan ou le film letton Rocks in My Pockets (Signe Bauman, 2014) présenté en 2015 au Luxfilmfest, relèvent de la même démarche tandis que Zero Impunity (Nicolas Blies et Stéphane Hueber-Blies, 2019) présenté cette année au Festival, utilise l’animation pour dénoncer le viol en temps de guerre tout en assurant l’anonymat aux personnes qui témoignent.

Zero Impunity  (c) A_Bahn

D’autres films s’infiltrent désormais dans la brèche du cinéma d’animation pour adultes. Ethel and Ernest mais également les contes philosophiques La tortue rouge (Michaël Dudok de Wit, 2016) ou Louise en hiver (Jean-François Laguionie, 2016) en sont de très beaux exemples. Tous utilisent des techniques d’animation différentes, créant des univers visuels inattendus et poétiques, qui par leur référence visuelle à l’imaginaire des enfants ou des contes interpellent le spectateur tout en lui permettant de se positionner tout autrement que dans un film en prises de vue réelles.

Ces films sont primés dans de nombreux festivals mais connaissent souvent encore une carrière trop brève dans les salles. C’est donc maintenant aux spectateurs de faire preuve de curiosité et d’ouverture pour les découvrir. La sortie de Funan est annoncée pour le 27 mars au Luxembourg.

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