Cannes, Jour 2 : Il vient une heure où protester ne suffit plus (*)

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(Viviane Thill) Il y a des films qui, comme The Dead Don’t Die, s’amusent en se cachant vaguement derrière des problématiques politiques et sociétales réelles. Et puis, il y a les films véritablement engagés qui tentent, par des chemins divers, de dévoiler, de faire réfléchir et peut-être agir.

Les deux candidats à la Palme d’Or présentés hier sont assurément dans cette veine, avec des résultats divergents. Bacurau est l’œuvre de Kleber Mendonca Filho et Juliano Dornelles. Le premier avait signé en 2016 Aquarius, déjà une histoire de résistance – celle d’une journaliste à la retraite contre des promoteurs qui voulaient abattre son immeuble – dans le Brésil d’aujourd’hui. Cette fois, cela se passe dans le Sertão, là même où il y a exactement 50 ans, le mythique Antonio Das Mortes imaginé par le maître du cinema novo Glauber Rocha (Antonio Das Mortes, 1969) défendait les misérables de cette région déshéritée dans le Nord-Est du Brésil. Mendonca et Dornelles se situent clairement dans cette lignée mais construisent un film plus accessible au public international en se servant de références étrangères (le western spaghetti notamment) et en folklorisant les ingrédients locaux. Mais le mélange des genres est peut-être ce qui nuit le plus au film qui peine à transmettre sa colère légitime.

L’histoire est celle d’un petit village qui doit se défendre à la fois contre des politiciens véreux qui lui ont coupé l’accès à l’eau propre et contre des Américains qui les rabaissent au niveau de vulgaire gibier. On ne croit pas vraiment à cette dernière trame bien qu’elle soit portée par Udo Kier, en grande forme et réellement flippant mais desservi par le manque de consistance de son personnage. Les réalisateurs ne résolvent jamais la tension entre les éléments mythiques (comme le personnage de Lunga, un rebelle sanguinaire, héritier des cangaceiros) et la dénonciation d’une situation politique plus tendue que jamais avec l’arrivée (pendant la production du film) de Bolsonaro au pouvoir. Dans la deuxième moitié du récit, les réalisateurs se perdent de plus en plus dans une allégorie transparente de l’exploitation et de la déshumanisation des paysans par les capitalistes. A tel point que le déchaînement de violence final se trouve réduit à un spectacle aux limites du grand-guignol derrière lequel le contenu s’efface.

Cette montée vers l’explosion de la violence est décrite de façon bien plus maîtrisée et sidérante dans le premier long métrage de Ladj Ly dont les évidentes inspirations sont La Haine (Mathieu Kassovitz, 1995) et Do the Right Thing (Spike Lee, 1989). Sur  le prégénérique, on découvre l’allégresse populaire lorsque la France remporte en 2018 la Coupe du Monde de football contre la Croatie. Les supporters, parmi lesquels certains personnages du film à venir, remontent les Champs-Elysées et sur les images de cette foule en liesse et celle de l’Arc de Triomphe s’inscrit le titre Les Misérables. La référence à Hugo révèle une ambition peu commune dans un premier film mais Ladj Ly s’avérera être à la hauteur.

SRAB Films – Rectangle Productions – Lyly Films

On pénètre ensuite dans le film et dans la cité des Bousquets à Montfermeil avec Stéphane, policier nouvellement muté là de sa province natsle et qui découvre avec effarement le très fragile équilibre des pouvoirs sur lequel est bâti le semblant de paix sociale dans ce quartier réputé hautement sensible de la banlieue parisienne. C’est là qu’est né et qu’habite le réalisateur, c’est là qu’ont eu lieu les émeutes de 2005 et c’est là que Victor Hugo avait situé une partie de l’intrigue des Misérables. 150 ans après, les choses n’ont pas tellement changé, comme le remarque un personnage.  

Dans ce quartier, chaque interaction humaine semble construite uniquement sur des relations de pouvoir. Cela vaut autant pour les échanges des policiers entre eux et avec la population que des liens entre les immigrés d’origine africaine, les Gitans et les Frères musulmans. La cité est essentiellement contrôlée par deux figures charismatiques : le ‘Maire’ et l’‘Imam’. Les policiers sont au nombre de trois : Chris (Alexis Manenti), un policier blanc, raciste et sexiste à la mentalité de petit chef, Gwada (Djebril Zonga), plus diplomate et mesuré, et donc Stéphane (Damien Bonnard), le seul à encore tenter d’appliquer la loi. Tous ont besoin les uns des autres pour survivre dans la rue. Les alliances changent au gré des situations et sont davantage dictées par l’objectif à atteindre que par des appartenances communautaires. Comme les réalisateurs de Bacarau, Ladj Ly travaille avec des archétypes mais contrairement à eux, il les nuance et les humanise pour en faire de vrais personnages. Constamment concentré sur la tension qui monte inexorablement, il opte pour une veine résolument réaliste. Le début du film qui nous introduit dans la cité où il ne se passe encore rien de particulier, n’est pas moins saisissant que le reste.

SRAB Films – Rectangle Productions – Lyly Films

L’élément incontrôlable dans cette constellation toujours au bord de l’embrasement, ce sont les enfants. Quand le jeune Issa vole un lionceau dans le cirque des Gitans, il met le feu au poudre par une série d’enchaînements successifs. Au moment où les policiers tentent d’arrêter Issa, les autres gamins se ruent sur eux. Gwada pête les plombs, comme il dit, et tire un flasball sur Issa qui s’écroule. Problème: la scène a été filmée par le drône de Buzz, un jeune garçon binoclard et renfermé, isolé dans la cité où il se fait terroriser même par les filles (il faut dire qu’il les filme en cachette!) et désormais pourchassé par Chris qui tente de „limiter les dégâts“. Et toujours les gamins reviennent à la charge, aussi passionnés dans leur désir de revanche qu’ils l’étaient dans leur joie de gagner la Coupe du Monde. Des fusils à eau, on passe vite au cocktails Molotov. 

Le visage tuméfié d’Issa restera l’image marquante de ce film. Les misérables montre une société qui fait la guerre à ses enfants. Ce devrait être l’un des films dont on parlera au Palmarès.

Les misérables (SRAB Films – Rectangle Productions – Lyly Films) – extrait

(*) Victor Hugo (Les misérables)

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