Cannes, jour 5 : Femmes cinéastes

(Viviane Thill) Il y a les jours avec et les jours sans. En compétition, samedi était plutôt un jour sans avec deux réalisateurs qui s’amusent à jouer avec les codes du film noir et du western (respectivement Le lac aux oies sauvages du Chinois Diao Yinan et Les siffleurs du Roumain Corneliu Porumboiu), avec de beaux effets esthétiques dans le cas du premier et une histoire beaucoup trop embrouillée pour retenir l’attention dans le deuxième. Le cinéma de genre est d’ailleurs très présent dans ce 72e festival.

Dans la „Quinzaine des Réalisateurs“ a été présentée une coproduction luxembourgeoise (cette fois avec Samsa Film). The Orphanage est le deuxième long métrage de la réalisatrice Shahrbanoo Sadat. Comme le dessin animé Les hirondelles de Kaboul, également coproduit au Luxembourg et projeté jeudi dernier, ce film nous amène en Afghanistan mais cette fois vu par les yeux d’une jeune cinéaste afghane née à Téhéran en 1990. Shahrbanoo Sadat a ensuite passé une partie de son adolescence dans un village afghan dans les montagnes, expérience qu’elle a racontée dans son premier film Wolf and Sheep (également présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2016 où il a remporté le ‚Art Cinema Award‘). The Orphanage en est la suite mais centré cette fois sur un jeune garçon déjà présent dans le film précédent et inspiré de la vie d’un ami de la réalisatrice.

The Orphanage

Dans les années 1980, Qodratollah (Qodratollah Qadiri) se retrouve à Kaboul dans un orphelinat géré par les Soviétiques où sont rassemblés des gamins d’origines diverses. A la manière impressionniste, dans laquelle on sent fortement l’influence du cinéma documentaire, le film raconte divers épisodes dans la vie de ces jeunes adolescents qui rêvent de filles et de Bollywood en jouant sur les tanks et avec les munitions abandonnées par les Russes. Un voyage en Union Soviétique constitue une escapade rare et inattendue dans le quotidien des garçons qui sera interrompu brutalement par l’arrivée des moudjahidines. D’un jour à l’autre, les portraits officiels soviétiques sont enlevés des murs, le personnel féminin de l’établissement apparaît voilé

Formée à l’Atelier Varan (initiative française de formation au cinéma documentaire) de Kaboul, Shahrbanoo Sadat reconstitue avec une étonnante assurance la vie de ces jeunes garçons, leur passion pour Bollywood et le foot et leurs discussions sur la sexualité, toutes choses strictement interdites ensuite en Afghanistan – qui plus est quand c’est une femme qui les met en scène ! The Orphanage a été tourné au Tadjikistan (et au Danemark et en Allemagne pour les séquences russes) avec des acteurs afghans. La contribution luxembourgeoise est essentiellement financière (dans le cadre du nouveau fonds World Cinema) et technique (par le biais de techniciens luxembourgeois).

Le film est le deuxième d’une série qui devra en compter cinq, tous centrés sur le même personnage principal. Vu ainsi, The Orphanage se clôt sur un véritable cliffhanger. Quand les moudjahidines arrivent, Qodratollah et ses amis ont 15 ou 16 ans. Leur avenir se jouera dans l’Emirat islamique d’Afghanistan.

Parmi les autres films tournés par les femmes dans ce festival où la place des réalisatrices est devenue l’un des sujets de conversation quasi obligatoires, deux ont été jusqu’à présent projetés en Compétition officielle. Little Joe de la réalisatrice autrichienne Jessica Hausner emprunte les codes du cinéma de science-fiction et d’horreur pour une réflexion assez abstraite sur l’identité, le mystère humain, les manipulations génétiques et la standardisation idéologique mais aussi la maternité. L’intrigue tourne autour d’une plante créée génétiquement pour rendre les humains heureux. Mais l’expérience dérape, la plante semble développer une sorte d’intelligence qui lui permet de manipuler les gens qui s’en approchent. Seule Bella (Kerry Fox) et ensuite sa créatrice Alice (Emily Beecham) semblent comprendre qu’elle est dangereuse. Dans la lignée de ses films précédents (notamment Lourdes (2011) et Amour fou, 2014)), Hausner poursuit ici une oeuvre originale et exigeante, intellectuellement passionnante mais pas facilement accessible.

 

Little Joe

Atlantique de la Franco-Sénégalaise Mati Diop se tourne en revanche vers la poésie et la tradition vaudou (à l’origine des zombies) pour renouveler la réflexion sur le sort des immigrés africains qui périssent en mer et les conditions économiques – voire les comportements criminels – qui les y acculent. L’amant de la jeune Ada est l’un de ces ouvriers trahis par leur patron qui n’ont plus qu’à aller tenter leur chance en Espagne. Ada (Mame Bineta Sane) elle-même est promise à un riche fils à papa. On apprend bientôt que la pirogue sur laquelle son amant est parti avec ses copains s’est échouée et tous les occupants ont péri. Le réalisme du film fait place alors à un fantastique inattendu quand les jeunes hommes noyés investissent le corps des femmes restées au Sénégal pour venir demander justice et l’amant d’Ada infiltre celui d’un policier pour une dernière nuit d’amour.

Mati Diop joue très (trop?) subtilement sur la différence de destin entre les hommes qui n’ont que leur force physique à vendre pour survivre et les femmes qui vendent leur corps à de riches maris pour ensuite profiter du luxe un peu kitsch que vantent les magazines de mode. Ces considérations se perdent toutefois dans l’histoire d’amour pas très adroitement imbriquée dans le récit. L’ensemble donne l’impression de n’être pas totalement maîtrisé (il s’agit d’un premier film) mais l’expérience est assez intrigante pour qu’on ait envie de voir la suite du travail de cette jeune réalisatrice.

Atlantique – Crédit Image : Les Films du Bal – Cinekap – FraKas – Arte France Cinéma- Canal Plus international
 
Cet article a été corrigé: Shahrbanoo Sadat est née à Téhéran et non à Kaboul comme indiqué dans une première version.

 

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