(Viviane Thill) Journée contrastée ce dimanche à Cannes où l’on a vu le beau Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma et l’hommage rendu à Alain Delon qui a reçu (avec moultes larmes) une Palme d’honneur.
Une pétition avait été lancée quelques jours auparavant par Women and Hollywood qui demandait l’annulation de cet hommage car Alain Delon serait, selon les termes utilisés par les pétitionnaires, « raciste, homophobe et misogyne ». A cela, le Festival, qui n’a pas vraiment apprécié qu’une association américaine veuille lui dicter ses décisions, avait répondu qu’il honorait l’artiste et non ses idées politiques.
Alain Delon, jeune, dans Mr. Klein
Personnellement, je n’aime pas particulièrement Alain Delon, sa façon très imbue de parler de lui-même et encore moins ses discours sur la politique ou les femmes (que, comme tout bon macho, il déclare adorer et affirme à qui veut l’entendre qu’il leur « doit tout »). Mais je me méfie aussi de ces injonctions à penser comme il faut et à mettre au rebut toute l’œuvre d’un artiste sous prétexte qu’il ne correspond pas aux critères éthiques définis par certains. Et puis, je voulais revoir M. Klein, le film qui suivait l’hommage, choisi par Delon et produit par lui en 1976. C’était aussi lui, à l’époque Gaulliste déclaré, qui en avait confié la réalisation au communiste Joseph Losey ce qui démontre quand même une certaine complexité et ouverture d’esprit chez l’homme. Le film avait été mal reçu, était parti bredouille de Cannes et avait apparemment fait perdre pas mal d’argent à Delon.
Curieusement, l’hommage était programmé dans la salle Debussy, plus petite et moins prestigieuse que la salle Lumière. Le public (plutôt âgé dans l’ensemble) était tout entier gagné à la star. Quatre ‘standing ovations’ en 40 minutes, cela doit être – même à Cannes où elles sont pratique courante – un record. Delon a passé son temps sur scène à pleurer alors qu’il recevait le trophée des mains de sa fille Anouchka qui s’en est tirée, elle, sans trop de pathos. Cabotin jusqu’au bout, il n’a cessé de répéter – au grand effroi du public! – que ce qu’on fêtait là ce n’était pas la fin d’une carrière mais la fin d’une vie et qu’il allait s’en aller pour de bon.
Il s’en va… Alain Delon dans Mr. Klein
Après cela, on a pu voir Mr. Klein dans lequel Delon joue un riche marchand d’art alsacien nommé Robert Klein qui achète sans vergogne et à moitié prix aux Juifs les tableaux qu’ils sont obligés de vendre avant de fuir la France occupée en janvier 1942. Un jour, il reçoit un journal adressé à un autre Robert Klein, Juif celui-là. Il s’adresse à la police pour clarifier le malentendu et se retrouve fiché, soupçonné d’appartenir « à la race sémite ». Il se retrouve soudain en ligne de mire des lois anti-juives qu’il n’avait jamais contestées tant qu’elles ne le concernaient pas. C’est un film étrange, labyrinthique, kafkaïen même, à la fois récit historique (sans doute l’un des premiers à accuser frontalement la police française d’avoir envoyé les Juifs à l’extermination) et métaphorique, sur l’identité et la culpabilité. Un film un peu oublié aujourd’hui mais qu’il est grand temps de redécouvrir par les temps qui courent.
Le jour de la Palme d’honneur remise au macho proclamé Alain Delon, le festival présentait l’un des plus beaux films en compétition réalisé par une femme. Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma commence avec un bel hommage au Piano de Jane Campion : une femme débarque sur une île sauvage, non pas avec un piano mais avec des toiles vierges. Elle s’appelle Marianne (Noémie Merlant), elle est peintre et a été engagée par une châtelaine (Valeria Golino) pour faire le portrait de sa fille Héloïse (Adèle Haenel), sortie du couvent pour être mariée à un riche Milanais. Avec la complicité de la servante Sophie (Luàna Bajrami), Héloïse et Marianne, d’abord méfiantes l’une vis-à-vis de l’autre, vont vivre un amour passionnel qu’elles savent sans avenir. Car dans cette moitié de 18e siècle, la plupart des femmes, servantes ou maîtresses, n’ont pas la liberté de choisir leur destin.
Portrait de la jeune fille en fleur – Lilies Films / Hold-Up Films / Arte France Cinéma
A travers Marianne, Céline Sciamma fait revivre les femmes peintres qui ont existé au 18e siècle mais ont été rayées de l’histoire de l’art, comme en général la vie et la condition des femmes. Marianne ne peint pas que le portrait d’Héloïse mais également l’avortement de la servante et ce tableau-là ne sera certainement jamais montré. Et son amour pour Héloïse, il faudra qu’elle le sublime pour mieux le montrer, dans un tableau d’apparence classique mettant en scène le mythe d’Orphée et Eurydice ou dans ce portrait caché de la jeune fille en feu, souvenir d’une étrange nuit de Walpurgis durant laquelle les femmes dansent et s’échangent des plantes qui les feront planer ou avorter.
Dans ce film, dans lequel les hommes ne font que quelques apparitions furtives, Céline Sciamma met en scène un espace de liberté, parenthèse enchantée où les femmes s’épanouissent un court moment. L’émotion vient de la sensualité avec laquelle Sciamma filme les corps, du jeu retenu mais très sensible des actrices, de l’attention porté aux costumes et aux décors et de la conscience qu’ont les personnages et le public que cet amour est condamné au moment même où il naît. C’est aussi un film sur le regret et la mémoire de l’amour perdu, magnifiés dans une bouleversante séquence finale.
En filigrane, Portrait d’une jeune fille en feu est aussi une métaphore de la relation entre l’artiste et son modèle, la réalisatrice et son actrice (Adèle Haenel et Céline Sciamma ont longtemps vécu ensemble) et une variation intime et originale sur le regard posé dans le cinéma et la peinture sur le corps féminin.
Portrait de la jeune fille en feu – extrait
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