Cannes, jour 7 : Le gamin au Coran

(Viviane Thill)  Ce mercredi va sortir au Luxembourg, en direct de Cannes, le nouveau film des frères Dardenne intitulé Le jeune Ahmed. C’est à la fois la continuation et dans un certain sens une rupture avec les œuvres précédentes de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Continuation parce qu’Ahmed pourrait être le petit frère de Rosetta  (1999) : aussi obstiné, aussi fonceur, aussi déterminé à atteindre son but. Sauf que ce pour quoi combat cette fois le personnage, ce n’est pas la survie dans une société capitaliste qui abandonne sur le bord de la route les plus faibles. Ahmed grandit dans une famille certes monoparentale mais avec une mère aimante et une enseignante modèle qui a investi de nombreuses heures pour aider Ahmed à surmonter sa dyslexie. Les obstacles ne viennent ici pas de l’extérieur mais du personnages lui-même. De ce point de vue, Ahmed se rapproche davantage du jeune garçon dans Le fils (2002) qui avait provoqué la mort d’un enfant et trouvé la rédemption grâce au père de ce dernier.

(c) Christine Plenus

Âgé de 13 ans, Ahmed s’est radicalisé récemment sous l’emprise d’un imam de quartier et d’un cousin mort en martyr. Le monde et les humains se divisent désormais pour lui en « pur » et « impur ». Pur : le Coran, son cousin sacrifié, la parole de l’imam et la soumission à Allah. Impur : l’alcool, le tee-shirt de sa sœur, la salive d’un chien ou le timide baiser donnée par une fille de son âge. Prenant au pied de la lettre, non seulement le Coran mais les discours de haine de l’imam, Ahmed va tenter d’assassiner l’enseignante, musulmane non voilée accusée de surcroît de fréquenter un Juif. Il se retrouve dans un centre de rééducation où tout le monde est bienveillant mais où personne n’arrivera à percer la carapace de l’adolescent. Ahmed se relance avec le même acharnement, mais en cachant cette fois mieux son jeu (autre chose apprise chez l’imam) dans son projet : tuer l’enseignante « impie ».

Comme à leur habitude, les Dardenne suivent caméra à l’épaule la course effrénée de l’adolescent mais le personnage s’avère encore plus opaque que certains qui l’ont précédé. Face au fanatisme religieux d’un adolescent, toutes les valeurs auxquelles les deux frères font d’habitude appel pour sauver leurs protagonistes ne prennent plus. Les figures autour d’Ahmed n’ont pas de véritable contour (comme l’éducateur) ou s’effacent (la mère) parce qu’Ahmed ne les regarde plus, refuse de les regarder et se persuade finalement qu’il doit absolument purifier le chaste baiser donné par la jeune fille par le sacrifice à Allah.

(c) Christine Plenus

Au bout du compte, les Dardenne – et c’est là la rupture – s’avouent vaincus. Dans le dossier de presse, ils écrivent à propos d’Ahmed : « Comment l’immobiliser dans un moment où, sans l’angélisme et l’invraisemblance d’un happy end, il pourrait s’ouvrir à la vie, se convertir à l’impureté jusque-là abhorrée ? » Pour la première fois, les Dardenne n’ont pas trouvé cette scène. Dans le plan final, les réalisateurs immobilisent Ahmed mais on a presque l’impression d’une intervention forcée des cinéastes dans leur propre œuvre. Ils font prononcer au garçon les paroles libératrices mais sans y croire, comme une incantation, comme un voeu pieu, comme pour en finir.

 

Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.

Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!

Spenden QR Code