(Viviane Thill) Deux (pour les plus privilégiés), voire trois et peut-être davantage d’heures d’attente pour accéder aux deux projections simultanées (l’une pour le public invité et l’autre pour la presse) de Once Upon a Time… in Hollywood n’ont pas fait peur aux fans de Quentin Tarantino qui, à défaut d’être vraiment le grand réalisateur pour lequel il se prend, est à coup sûr le champion du marketing.

D’abord, créer l’attente : toute la presse avait prédit la sélection du film en compétition à Cannes mais à la conférence de presse du festival, il manquait à l’appel. Comment, se sont obligeamment étonnés certains, le festival pourrait-il avoir lieu sans Tarantino alors qu’on fêtait le 25e anniversaire de sa Palme d’Or Pulp Fiction ? On avait déjà fêté son 20e anniversaire il y a 5 ans, mais peu importe. Puis nouveau coup de théâtre : Once Upon a Time… in Hollywood est ajouté à la sélection quelques jours avant l’ouverture du festival, Tarantino ayant annoncé qu’il serait finalement prêt pour une projection sur la Croisette, ce qui donne à nouveau aux réseaux sociaux l’occasion d’y consacrer de exposés. Ensuite : donner l’impression que le film pourrait créer une controverse. Comme on a appris que le film se passe en 1969 et que l’assassinat de Sharon Tate pourrait y jouer un rôle, on spécule que l’inclusion dans un film de Tarantino de ce fait divers sanglant qui a d’une certaine façon sonné le glas des années 1960, pourrait ne pas être du meilleur goût.
Bref, Tarantino fait en sorte qu’on parle de lui tout le temps et ce n’est jamais assez. La veille de la projection à Cannes, il demande sur Twitter et par voie de presse aux journalistes d’éviter « de révéler quoi que ce soit qui empêcherait les futurs spectateurs de vivre la même expérience [qu’eux] devant le film », message que quasiment tous les médias s’empressent de communiquer à leurs lecteurs. Avant la projection de presse elle-même, un représentant du festival vient relire le même message dans la salle, pour le cas improbable où il aurait échappé à quelqu’un.

Et le film dans tout ça ? Il y a Leonardo DiCaprio ET Brad Pitt, ce qui n’est déjà pas si mal. C’est la toute première fois qu’on les voit ensemble à l’écran dans un long métrage. DiCaprio joue Rick, un acteur un peu pleurnichard et très alcoolique, spécialisé dans les westerns mais en fin de carrière. Pitt est Cliff, son ami et chauffeur. Rick habite une belle maison voisine de celle du couple Polanski tandis que Cliff se contente d’un mobil-home. Le film dure 2h40 pendant lesquelles il ne se passe pas grand-chose. On voit des extraits de films et de séries télévisées et des reconstitutions de films et de séries télévisées. On voit Sharon Tate (Margot Robbie) qui se regarde jouer. On entend des noms qu’on connaît ou qu’on ne connaît pas. Dans les meilleurs moments, Cliff se bat contre Bruce Lee et Rick se fait donner une leçon de jeu d’acteur par une fillette. Puis Cliff ramène une belle autostoppeuse au Spahn Ranch qui servait jadis de décor de western et héberge en 1969 la « famille » de Charles Manson. C’est la séquence la plus réussie dans un film qui pour le reste s’étire sans rien raconter. Je ne vous dirai rien sur la fin, juste qu’elle contient tout le gore qu’attend le public de Tarantino, mais ne choquera pas grand-monde.
Passons donc aux choses sérieuses. Comme Tarantino, le Sud-Coréen Bong Joon-ho aime le cinéma de genre. Il est le réalisateur de films aussi mémorables que The Host (2006), Mother (2009), Snowpiercer (2013) ou Okja (2017). Son nouveau long métrage Parasite, également en compétition, est l’oeuvre que Ken Loach réaliserait s’il pétait complètement les plombs.
Parasite (c) 2019 CJ ENM Corporation, Barunson E&A
Une famille composée de la mère, du père, du fils et de la fille, s’entasse dans un sous-sol sordide jusqu’à ce que le fils soit recruté pour devenir prof d’anglais dans une famille riche (père, mère, fils et fille) occupant une spectaculaire villa. Les pauvres sont affreux, sales (on leur dit qu’ils sentent mauvais) et méchants (mais il est facile d’être gentil quand on est riche, comme le remarque un personnage) et s’incrustent – bien au-delà de nos attentes – dans la vie des nantis. S’ensuit une hilarante comédie sociale qui tourne au massacre de façon nettement plus inattendue et plus originale que chez Tarantino.
Bong Joon-ho mélange habilement le rire (grinçant) et l’effroi qui surgit ici non de simples conventions cinématographiques mais d’une situation économique que tout le monde semble avoir acceptée, les pauvres par résignation et les riches par aveuglement et inconscience. Le film a quelque ressemblance avec Shoplifters (Hirokazu Kore-eda, 2018), la Palme d’or de l’année passée. Il est sans doute moins subtil mais plus jouissif dans sa dénonciation d’un capitalisme exacerbé pour lequel les travailleurs sont interchangeables et surtout relégués loin des yeux des plus fortunés. Mais la misère finira toujours par remonter, comme les eaux des égouts qui inondent la ville et n’épargnent qu’en apparence les quartiers chic.
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