(Viviane Thill) Voilà, c’est fini. On n’attend plus que le Palmarès qui sera proclamé ce samedi soir. La compétition s’achève avec quatre films très divers.
Dans It Must Be Heaven, le Palestinien Elia Suleiman, à mi-chemin entre Buster Keaton et Jacques Tati, interprète un cinéaste mélancolique nommé… Elia Suleiman qui quitte son Nazareth natal pour essayer de faire un film à Paris ou à New York. Il découvre deux villes qui ne sont en paix qu’en apparence. Dans l’une des tanks roulent dans les rues (il faut dire que c’est le 14 juillet) et dans l’autre tout le monde est armé ! Il finira par revenir chez lui avec la promesse faite par une voyante que la Palestine existera un jour… mais plus de son vivant !
It Must Be Heaven
Le film, quasi muet, est composé de petites vignettes illustrant les observations du personnage, absurdes, étranges ou inquiétantes. On a l’habitude de voir des Occidentaux découvrir la Palestine occupée et de renverser ainsi le point de vue s’avère une expérience déstabilisante. Derrière l’humour distingué de Suleiman se cache une violence omniprésente – y compris dans les relations humaines – à laquelle nous nous sommes apparemment trop habitués pour encore la percevoir. La façon assez lâche avec laquelle les épisodes s’enchaînent et le manque évident d’inspiration dans certains d’entre eux réduisent cependant l’intérêt du film.
Sibyl repose tout entier sur Virginie Efira qui avait déjà été l’interprète de la cinéaste française Justine Triet dans l’excellente comédie Victoria (2016). Ce film-ci joue de façon assez lourde sur la frontière entre réalité et fiction en mettant en scène Sibyl (Efira), une psychanalyste, alcoolique repentie, qui est aussi écrivaine, et sa patiente Margot (Adèle Exarchopoulos) qui est actrice. Comme Sibyl autrefois, Margot doit décider si elle garde ou non l’enfant dont elle est enceinte. Jusqu’où est-on réellement le personnage qu’on se construit, dans quelle mesure manipule-t-on toujours un peu son entourage, peut-on inventer sa vie, telles sont les questions posées dans cette comédie dramatique qui commence de façon intéressante mais part ensuite un peu dans toutes les directions.
Sibyl
Après l’étonnant Vincere (2009) sur Mussolini, Il traditore de Marco Bellocchio est un biopic plus classique qui raconte de façon chronologique la vie de Tommaso Buscetta (Pierfrancesco Favino), le premier mafioso à avoir révélé à la justice italienne le fonctionnement de la Cosa Nostra. L’enquête aboutira au maxi-procès de Palerme durant lequel 475 accusés seront jugés. La mise en scène de ce procès parfois ubuesque constitue le point culminant d’un film qui rappelle et réduit à néant le mythe d’une Cosa nostra protégeant et nourrissant la population sicilienne. Buscetta refuse le qualificatif de « repenti ». Il a brisé l’omertà parce qu’il était dégoûté des excès de violence commis par la mafia sous l’influence de Salvatore Riina qui avait fait assassiner de nombreux alliés et les deux fils de Buscetta. C’est aussi Riina qui commanditera l’assassinat du juge Falcone. Favino interprète un homme conscient de ses crimes et déterminé à protéger sa famille, pris entre son clan et ses « valeurs ». Bellocchio n’en fait pas un saint mais le respecte pour son courage et une certaine intégrité dans un film certes instructif mais trop long, répétitif et conventionnel.
Buscetta face au juge Falcone dans Il traditore
Reste donc Mektoub My Love : Intermezzo. C’est le deuxième volet d’une série qui a commencé en 2017 avec Mektoub My Love : Canto uno (sélectionné au festival de Venise). Le premier film racontait les virées estivales d’un groupe d’amis à Sète. Le personnage central en est Amin, photographe et scénariste en devenir, peut-être l’alter-ego du réalisateur Abdellatif Kechiche. Dans Intermezzo, on retrouve les mêmes personnages à la fin d’un autre été.
Le film dure 3h28. On a échappé à la version de 4 heures annoncée en début de festival, mais ce n’est que partie remise car à la conférence de presse Kechiche a déjà annoncé qu’il regrettait d’avoir coupé certaines séquences. A vrai dire, il s’agit d’une expérience étrange : trois heures du film se passent en immersion totale dans une discothèque. Kechiche filme les filles se trémoussant sans répit au rythme de la techno, dansant, draguant, ingurgitant verre après verre, rigolant, suant. Les plans durent, s’étirent, c’est du temps réel et c’est hypnotique. Le battement incessant de la musique, la lumière stroboscopique, les mouvements répétés à l’infinis, tout donne l’impression de tendre vers un orgasme qui ne vient jamais.
Kechiche a parlé de célébration des corps, de la vie et de la jeunesse mais la quête obsessionnelle du divertissement telle qu’elle est filmée ici, tient bien davantage du supplice que du plaisir. Quand les corps se trouvent enfin, c’est dans les toilettes et pour une séance elle aussi filmée en temps réel : 13 minutes de cunnilingus brutal, sans joie ni sensualité. On imagine la tête des notables cannois invités à la séance officielle !
Tout cela pourrait peut-être passer sous couvert d’expérimentation radicale ou de volonté de choquer le bourgeois (façon La grande bouffe, Marco Ferreri, 1973) ou alors de commentaire nihiliste sur la condition humaine très animale si les corps des femmes et des hommes étaient érotisés de la même façon. Mais on ne voit quasiment que les femmes et des femmes on ne voit que les fesses 3h38 durant. Des fesses qui se trémoussent interminablement en gros plans, des fesses qui se tendent vers la caméra et la caméra qui plonge et replonge entre les fesses. Lors de la sortie de Canto uno, on avait déjà beaucoup jasé sur la fixation que faisait la caméra de Kechiche sur les derrières des actrices, parmi lesquelles Ophélie Bau et Hafsia Herzi. Dans Intermezzo, cette fixation tourne à l’obsession pathologique. C’est la déclaration arrogante et pathétique d’un cinéaste qui nous jette à la figure son regard lascif et le pouvoir que celui-ci lui donne sur le corps des femmes, le « male gaze » élevé au rang de manifeste.
Un article plus long sur le festival paraîtra dans le numéro de juillet de forum.
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