forum_C : „When They See Us“ d’Ava DuVernay

★★★★☆

(Viviane Thill) Ava DuVernay est connue essentiellement pour avoir réalisé Selma (2014) dans lequel elle retrace un épisode de la lutte des Afro-Américains pour leurs droits civiques dans les années 1960. Le succès de Selma a valu à DuVernay de devenir la première réalisatrice noire nominée au Golden Globe et pour l’Oscar du meilleur film.

Deux ans après Selma, la cinéaste a tourné 13th, un documentaire très remarqué (distribué par Netflix) sur le 13e amendement de la Constitution des Etats-Unis qui interdit l’esclavage. DuVernay y défend la thèse que l’esclavage des Noirs a été remplacé par leur incarcération de masse dans les prisons américaines. Systématiquement criminalisés, les hommes de couleur remplissent les prisons, enrichissant au passage l’entreprise privée qui construit et gère les établissements pénitentiaires aux Etats-Unis.

(c) Netflix

When They See Us est en quelque sorte l’illustration de cette thèse. La mini-série (quatre épisodes) d’Ava DuVernay, produite et diffusée par Netflix, adapte un fait divers de 1989 connu sous le nom de l’affaire des « Central Park Five ».

Le 19 avril 1989, une joggeuse est attaquée, violée et laissée pour morte dans Central Park au même moment où des adolescents afro- et latino-américains y font bruyamment la fête. Des passants sont bousculés par les jeunes, certains sont agressés et un enseignant est violemment passé à tabac par quelques individus, ce qui appelle la police sur les lieux. Le lendemain, pressée de démontrer le retour à l’ordre et l’efficacité de la police new-yorkaise, la procureure Linda Fairstain (Felicity Huffman) décide, sans preuve aucune, que les différentes agressions et le viol de la joggeuse ont été commis par les mêmes personnes et fait arrêter cinq gamins qui se trouvaient dans le parc cette nuit-là. Kevin Richardson (Asante Blackk/Justin Cunningham), Antron McCray (Caleel Harris/Jovan Adepo), Yusef Salaam (Ethan Herisse/Chris Chalk), Raymond Santana (Marquis Rodriguez/Freddie Miyares) et Korey Wise (Jharrel Jerome), âgés de 14 à 16 ans, sont interrogés pendant deux jours, en partie illégalement sans la présence de leurs parents. Les policiers les poussent à faire de faux témoignage, leur soufflant les réponses et leur promettant qu’ils pourront rentrer chez eux après l’enregistrement de leurs aveux. Terrorisés, les adolescents finissent par déclarer avoir été présents lors du viol qu’ils ne savent toutefois ni situer ni détailler. Malgré l’évident manque de cohérence entre leurs aveux, la rétraction ultérieure de ceux-ci par tous les adolescents et le fait que du sperme trouvé sur le lieu du crime ne correspond à aucun d’eux, ils sont condamnés à des peines de prison allant de 5 à 15 ans.

(c) Netflix

Le premier épisode raconte la virée dans le parc, l’arrestation des garçons et les interrogatoires, le deuxième est centré sur un des procès ayant abouti à l’incarcération des jeunes.  Ava DuVernay y dénonce impitoyablement les dysfonctionnements à l’origine de cette affaire : la pression politique et médiatique, les préjugés hâtifs – un journaliste énumère les structures familiales défaillantes, la pauvreté, la drogue, l’ignorance et la violence dans lesquelles ces gamins auraient été élevés, alors que le film nous les montre menant des vies normales d’adolescents avant le drame -, la peur des uns et l’abus de pouvoir des autres, la haine, la bêtise et le racisme partout présent. Une archive télévisée est là pour rappeler que Donald Trump avait à l’époque payé 85.000 dollars des annonces dans plusieurs journaux pour appeler à la haine et exiger le retour de la peine de mort !

On peut reprocher à la cinéaste de privilégier le seul point de vue des accusés et de ne guère nuancer les portraits des policiers et des hommes et femmes de loi mais elle a choisi le parti-pris de redonner leur humanité aux accusés et à leurs familles qui n’avaient jusque-là étaient perçus au pire que comme des criminels et des menteurs, et dans le meilleur des cas comme des symboles du combat antiraciste. En quelques séquences au début du 1er épisode, DuVernay esquisse leur quotidien, leur vie familiale et leur personnalité avant d’aussitôt nous plonger avec eux dans l’univers kafkaïen d’une justice expéditive qui les condamne avant même qu’ils aient compris de quoi on les accuse. La cinéaste reste ensuite toujours aux côtés de ces cinq personnages et c’est un choc, dans le troisième épisode, de voir Raymond, Antron, Kevin et Yusef devenus adultes quand ils sortent enfin de prison. Libérés, ils sont toujours considérés comme des pervers et des criminels et ont le plus grand mal à s’intégrer dans la société qui refuse obstinément de leur faire une place.

(c) Netflix

Le quatrième épisode est presque entièrement centré sur Korey Wise qui, parce qu’il avait 16 ans au moment des faits, a au contraire des autres été incarcéré dans des prisons pour adultes où il est resté 12 ans, presque toujours en isolation. La cinéaste décrit ce parcours comme un véritable calvaire qui ne cesse que le jour où le vrai coupable, auteur reconnu de plusieurs viols, fait de sa propre initiative des aveux qui aboutissent à l’annulation des condamnations pour les cinq jeunes de Central Park et procurent au film une sorte de happy-end.

Virtuose sur le plan visuel, bien construit et très bien interprété, le film souffre ça et là d’un sentimentalisme quelque peu appuyé, notamment dans les scènes familiales (l’incontournable réconciliation père-fils p.ex), de quelques longueurs (surtout dans le troisième et le quatrième épisode) et d’une musique qui souligne assez lourdement les émotions. Mais c’est, comme Selma, un excellent film militant dans lequel Ava DuVernay revisite l’histoire américaine du point de vue des Afro-Américains et leur donne une voix encore trop rare dans le cinéma populaire.

When They See Us est programmé sur Netflix

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