forum_C : „Unbelievable“

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(Viviane Thill) Diffusée sur Netflix, la mini-série Unbelievable (8 épisodes d’une heure) ne réinvente pas le genre du film policier mais en livre une version résolument féministe.

Kaitlyn Dever (c) Netflix

La série est adaptée d’un article, écrit par T. Christian Miller et Ken Armstrong, qui a remporté en 2016 le Prix Pulitzer pour le meilleur « reportage explicatif » éclairant une thématique jugée importante et complexe. En l’occurrence, il s’agissait, selon les termes du jury, de « l’incapacité persistante des forces de l’ordre à enquêter correctement sur les cas de viol et à comprendre leurs effets traumatisants sur les victimes ».  L’article avait été publié sur les sites de journalisme d’enquête ProPublica et The Marshall Project, deux associations sans but lucratif.

Le premier épisode de Unbelievable, le plus oppressant, raconte ce qui arrive à la jeune Marie (Kaitlyn Dever) quand elle révèle avoir été violée, plusieurs heures durant, par un homme masqué ayant pénétré dans son appartement en pleine nuit. Déjà lourdement fragilisée par les maltraitances qu’elle a subies dans son enfance, mise sur la sellette par deux flics qui mettent en doute le moindre de ses propos, soupçonnée de vouloir faire « l’intéressante » par une de ses anciennes mères d’accueil, Marie finit par craquer et se rétracte. Mais quelques années plus tard et à des milliers de kilomètres de là, dans le deuxième épisode, une étudiante est violée dans les mêmes circonstances. A la différence de Marie, Amber (Danielle Macdonald) tombe sur une enquêtrice qui l’écoute et lui permet d’exprimer, avec ses propres mots, ce qui vient de lui arriver. Cette inspectrice nommée Karen Duvall (Merritt Wever) apprend par hasard qu’un autre viol similaire a eu lieu dans un district voisin et elle convainc sa collègue Grace Rasmussen (Toni Collette) qui y est en charge de collaborer avec elle.

Merritt Wever et Toni Collette (c) Netflix

Est-ce parce qu’elle a été créée en majorité par des femmes que la série nous épargne les photos et autres descriptions voyeuristes ou scabreuses habituellement offertes en pâture au public dans ce genre de films ? Les agressions ne sont vues ici qu’à travers les flash-backs fragmentés des victimes. Il n’y aura par ailleurs dans la série ni course poursuite ni fusillades ou autres démonstrations de force virile. Et une fois démasqué, le coupable ne devient pas un objet de fascination. Unbelievable préfère se concentrer sur les victimes et les enquêtrices. Elle décrit l’indicible traumatisme subi par les femmes violées dont la vie a été irrémédiablement brisée mais qui l’expriment toutes de façons très différentes ce qui amène parfois les autorités à douter de leurs récits. Et si le scénario obéit aux règles du « buddy film » en mettant en scène deux policières que tout semble opposer (l’âge, l’expérience, la situation familiale, les croyances religieuses, les méthodes de travail) et qui finiront inévitablement par s’estimer l’une l’autre, il les décrit aussi comme des femmes courageuses, intelligentes, compétentes. C’est l’histoire de deux enquêtrices qui font leur travail avec engagement, sérieux et respect envers les victimes, et elles le font en l’occurrence mieux que les hommes.

L’interrogation de Marie  (c) Netflix

Au-delà de la problématique du viol, le film dénonce une culture plus générale qui réduit systématiquement les femmes à des proies :  les regards lubriques que jette dans un bar un client vers Karen et qu’il ne détourne que quand elle lui montre ostensiblement son arme, la peur qui étreint n’importe quelle femme dans une rue déserte le soir, le nombre de policiers (40% selon des études publiées aux Etats-Unis!) accusés de violence domestique, et surtout l’incompréhension des hommes pour qui tout cela est « normal » ou invisible ou inconscient. De façon plus malicieuse, le film s’amuse aussi à retourner quelques clichés. Ainsi, ce sont ici les inspectrices qui échangent des informations autour d’une table de billard (passe-temps plus souvent réservé aux hommes dans les films) tandis que leurs maris les attendent sagement à la maison en faisant du bricolage ou la cuisine après avoir couché les enfants.

Danielle MacDonald, Merritt Wever (c) Netflix

Unbelievable a été créée par Susannah Grant (scénariste entre autres de Erin Brockovich pour lequel elle a reçu une nomination à l’Oscar) en collaboration avec la romancière Ayelet Waldman et Michael Chabon (prix Pulitzer en 2001 pour The Amazing Adventures of Kavalier & Clay), mais c’est bien Grant qui est à l’origine et aux commandes de la série dont elle a également réalisé deux épisodes. Lisa Cholodenko (The Kids are Alright, 2010) a pris en charge trois autres épisodes. Parmi les productrices figurent Sarah Timberman qui a chapeauté Universal Network Television avant de créer sa propre société de production, et la journaliste Katie Couric.

Cette prépondérance de femmes explique-t-elle aussi la présence dans la série d’actrices au physique peu commun à Hollywood ? Danielle MacDonald (Patti Cake$, 2017) et Bridget Everett (surtout connue comme « stand-up comedian ») sont pudiquement qualifiées dans les magazines américains de « plus size » et se voient habituellement réduites au cinéma aux rôles de « grosses » (quand on leur propose des rôles…). Elles jouent toutes deux ici des femmes complexes pour lesquelles leur tour de taille n’est pas un enjeu et qui leur donnent l’occasion de montrer la vraie étendue de leur talent. Idem pour Dale Dickey (Winter’s Bone, 2010) qui dit être envoyée dans des castings quand le producteur recherche une femme « pas nécessairement attractive » et qui interprète dans Unbelievable une femme-flic expérimentée qui fait avancer l’enquête. Mieux encore : quand ces femmes sont ensemble, elles ne parlent pas amour, mariage ou mode mais de l’enquête, de la justice, des violences faites aux femmes et parfois (on est aux Etats-Unis) de Dieu.

Formidablement écrite, réalisée et interprétée, racontant au passage comment une femme violée en vient à refouler, voire nier le viol tout en restant profondément traumatisée, Unbelievable est une série éprouvante, révoltante même, mais importante, percutante et politique.

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