forum_C : Le bonheur en images animées

(Viviane Thill) Le 400e numéro de forum est consacré au bonheur ! Le sujet est plus ambivalent qu’on ne pourrait le croire. Il y a la poursuite du bonheur ancrée dans la déclaration d’indépendance des Etats-Unis, le bonheur individuel, le bonheur collectif, l’injonction au bonheur et même l’industrie du bonheur. Et au cinéma, il y a les « happy ends » et les « films pur bonheur » (« feel good movies » en québecois). Mais qu’en est-il des films qui prétendent nous parler du bonheur, ceux qui mettent le mot « bonheur » dans leur titre ?

Les images du bonheur

Pour le brave et un peu fruste paysan russe Khmyr imaginé en 1934 par Alexandre Medvedkine dans Le bonheur, ce bonheur serait de « vivre comme un tsar » et que les petits pains volent d’eux-mêmes dans sa bouche.

Le bonheur (Alexandre Medvedkine) sur une musique de Modeste Moussorgski   DR

30 ans plus tard, à l’ouest du rideau de fer, les publicités et les magazines (surtout féminins) propagent l’image d’un bonheur tranquille dans des familles avec un papa et une maman, le dimanche au bord de l’eau, ce que met en scène en 1964 Agnès Varda dans Le bonheur.  Une sérénité qui sera mise à mal quand le père tombera amoureux d’une autre femme. Encore aujourd’hui, certains voient curieusement dans ce film une défense de l’amour libre. Mais Varda met en scène une image du bonheur qui soumet au final les femmes aux désirs et au confort des hommes.

Le bonheur (Agnès Varda)  (c) Ciné-Tamaris

Beaucoup plus prosaïquement, le bonheur que poursuit Chris (Will Smith) dans The Pursuit of Happyness (Gabriele Muccino, 2006) se matérialise sous forme d’une Ferrari rouge.

The Pursuit of Happyness (Gabriele Muccino)  (c) Columbia Pictures

Image qui nous ramène de façon quelque peu inattendue dans Le bonheur de Medvedkine dans lequel la fermière misérable s’émancipe dans un kolkhoze socialiste en conduisant un tracteur !

Le bonheur (Alexandre Medvedkine) sur une musique de Modeste Moussorgski   DR

Mais son mari Khmyr se sent beaucoup moins à l’aise dans la nouvelle société soviétique. Il dit même qu’il se sent prisonnier au kolkhoze où pourtant tout le monde semble heureux à part lui.

L’envers du bonheur

Ou bien feraient-ils semblant de l’être? L’injonction au bonheur existait-elle déjà sous Staline? Elle est en tout cas omniprésente dans la société de consommation occidentale où l’on nous dit que chacun est responsable de son bonheur, qu’il suffit de changer son « moi » pour être heureux. C’est ce que Eva Illouz et Edgar Cabanas appellent « l’industrie du bonheur », voire « la dictature du bonheur » dans leur livre Happicratie (éditions Premier Parallèle). Mais se conformer aux images du bonheur propagées par les médias – pour les femmes, cela se résume encore très souvent à trouver le prince charmant qui leur offrira de beaux enfants et une grande maison! – ne rend pas toujours heureux comme le montrent deux séquences curieusement similaires dans deux films très différents.

Dans Happy-Go-Lucky de Mike Leigh (1997), Poppy (Sally Hawkins), une jeune institutrice qui aime son métier, sa colocataire et bientôt un éducateur qui vient s’occuper d’un gamin dans son école, a pris le parti de rire des petits malheurs de la vie. Toujours gaie et pleine d’imagination, responsable et adulte, Poppy n’est pas à la recherche du prince charmant, ne veut pas nécessairement avoir des enfants (mais ne l’exclut pas), ne cherche pas à être la plus belle et n’est pas préoccupée par les possessions matérielles. Son secret est tout simple : elle est contente de ce qu’elle a et est ouverte à ce qui arrive. Mais cette indépendance et son refus de se conformer à une image prédéfinie du bonheur en font un personnage presque subversif. Elle dévoile la frustration des gens qui ne partagent pas sa joie de vivre. Quand sa sœur enceinte et visiblement au bord de la crise de nerfs lui reproche de ne pas se caser à son tour, Poppy lui répond qu’elle est parfaitement heureuse et qu’elle tient à sa liberté.

Happy Go-Lucky (Mike Leigh)  (c) Thin Man Films

Dans Happiness (1998), Todd Solondz met à nu l’envers du bonheur rose bonbon que nous sommes tous censés vouloir atteindre. Dans cette scène, Joy (Jane Adams) – contrairement à Poppy – est moins heureuse qu’elle ne prétend (elle venait d’éclater en sanglots peu avant) alors que sa soeur Trish (Cynthia Stevenson) qui lui fait la morale joue à l’épouse et à la mère parfaite mais ignore ou fait mine d’ignorer que son mari est un pédophile! Avec un humour froid, Solondz accumule dans Happiness tous les sentiments négatifs dont la psychologie positive voudrait faire table rase : dépressions, fantasmes macabres, ennui, peur, souffrance, perversions, mutilations, viols et suicides. 

Happiness (Todd Solondz)  (c) Killer Films

Poppy elle aussi tombe dans Happy-Go-Lucky sur un personnage (Eddie Marson) psychorigide, raciste, complotiste et promenant plus généralement une belle brochette de sentiments négatifs.

Happy Go-Lucky (Mike Leigh)  (c) Thin Man Films

Poppy va d’abord essaier de faire face avec sa bonne humeur habituelle mais il n’a aucun d’humour (ce qui le rend très drôle). Alors elle se défend en se moquant de lui, ce qui ne fait que le mettre davantage en colère. De ce point de vue, Happy-Go-Lucky est curieusement un film sans happy-end puisqu’il se termine sur une constatation résignée : « You can’t make everyone happy ».  

Cet article est une version remaniée et raccourcie de ma contribution au no. 400 de forum.

 

 

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