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(Viviane Thill) Découvert à Cannes où il a sidéré le public et remporté le prix du jury, le réalisateur Ladj Ly inscrit son film Les misérables entre deux moments chocs. Le premier arrive quand, sur les images de la foule en liesse et les drapeaux tendus vers le ciel sur les Champs-Elysées, le soir de la victoire française en Coupe de monde du foot en 2018, les mots « Les misérables » s’inscrivent sur fond d’Arc de Triomphe.

(c) SRAB Films – Rectangle Productions – Lyly Films
Le cinéaste positionne ainsi d’emblée son film comme un contre-récit au discours officiel (« Je suis très heureux pour la France » avait déclaré le président Macron après la victoire des footballeurs) car ce qu’il raconte ensuite, c’est la démission des hommes et femmes politiques qui ont depuis des décennies abandonné les banlieues dites sensibles à la misère, à la violence et à l’exclusion. Le deuxième choc se situe à la fin. Issa (Issa Perica), le gamin qu’on a vu au début, la joue bariolée de bleu blanc rouge, chanter la Marseillaise lors de la Coupe du monde, se trouve face à un policier. Il a le visage défiguré et tient un cocktail Molotov à la main.
Comment en est-on arrivé là ? Presque 15 ans après les émeutes de 2005 qui avaient commencé à Clichy-sous-Bois et Montfermeil et que Ladj Ly avait été l’un des seuls à filmer de l’intérieur, il nous ramène dans la Cité des Bosquets à Montfermeil – l’endroit où Victor Hugo a situé certains épisodes de ses Misérables et où Ly vit depuis 30 ans. Rien n’a changé depuis 2005 ou si peu. Les dealers ont été chassés et remplacés par les « frères muz » qui font désormais office d’éducateurs. Les autorités républicaines brillent par leur absence. Dans le film, le « maire » qui gère tant bien que mal les petites et grandes querelles des habitants quand elles menacent ses divers commerces, règne par la force et la corruption. Celui qui tient en vérité le quartier, de l’aveu même des policiers, est « l’imam », ancien malfrat reconverti dans l’Islam et qui parle de préférence en allégories.

Les trois policiers (c) SRAB Films – Rectangle Productions – Lyly Films
Nous pénétrons dans la cité avec Stéphane (Damien Bonnard), policier fraîchement muté là de sa Normandie natale. Ses nouveaux collègues sont Chris (Alexis Manenti), raciste, sexiste, à la mentalité de petit chef, et Gwada (Djebril Zonga), plus mesuré mais docile complice de Chris. Il fait chaud, très chaud, les nerfs sont à vif et chaque rencontre entre les policiers et les habitants du quartier fait monter la tension. En quelques séquences, le réalisateur dépeint un univers où les alliances changent au gré des situations, où chaque interaction est construite sur des relations de pouvoir.
Quand un lionceau est volé dans un cirque qui appartient à une famille de Gitans très nerveux, la situation risque de dégénérer. Pour la calmer, les policiers, le maire et l’imam vont devoir unir leurs forces. Le coupable est vite trouvé, c’est Issa, Gavroche moderne, qu’on a vu au début. Mais son arrestation par les policiers tourne mal ; un coup de flash-ball part, blessant grièvement le garçon au visage. Et un drone a filmé la scène.
Ce drone appartient à Buzz, un gamin renfermé et binoclard, d’évidence le substitut du réalisateur Ladj Ly (il est d’ailleurs interprété par son fils Al-Hassan Ly). Ladj Ly a fait du « copwatching » (action militante consistant à filmer les interventions policières afin de témoigner des dérapages) et a lui-même filmé jadis une bavure policière dans la cité des Bosquets.

Le réalisateur Ladj Ly (c) Renaud Konopnicki
Issu du collectif d’artistes Kourtrajmé fondé dans les années 1980 par Romain Gavras (fils de Costa-Gavras) et Kim Chapiron (fils du dessinateur Kiki Picasso), Ladj Ly est l’auteur du documentaire 365 jours à Clichy-Montfermeil réalisé après les émeutes de 2005, d’un documentaire tourné au Mali dont sont originaires ses parents et d’un court métrage déjà intitulé Les misérables qui a reçu une nomination aux Césars 2018. Ce n’est donc pas vraiment un inconnu mais son film – à la fois film engagé et grand cinéma populaire – n’en a pas moins surpris tout le monde. Il y fait preuve d’une maîtrise parfaite aussi bien dans la structuration du scénario et la construction des personnages – il utilise puis déconstruit habilement les stéréotypes habituellement accolés aux banlieues – que dans le rythme de la mise en scène et la direction d’acteurs. Et il utilise intelligemment aussi bien les références à Victor Hugo que celles aux incontournables précurseurs que sont Do the Right Thing (Spike Lee, 1989) et La haine (Mathieu Kassovitz, 1995) dont il réinterprète la fin ouverte pour demander où peut aller une société quand elle ne laisse à ses enfants que la haine et la violence face à la misère.
Des fusils à eau, on va vite passer aux cocktails Molotov. Extrait (c) SRAB Films – Rectangle Productions – Lyly Films
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