★★☆☆☆
(Viviane Thill) Depuis sa sortie aux Etats-Unis au moment de Noël, Little Women est célébré un peu partout comme la révélation de l’année, le film de l’ère #Metoo, scandaleusement évincé des nominations à l’Oscar du meilleur réalisateur (où les hommes sont restés entre eux).
(c) Sony Pictures
Little Women a été nommé à l’Oscar du meilleur film qui récompense le producteur, et dans ce cas la productrice Amy Pascal, mais cela n’a pas empêché les fans de Greta Gerwig de crier au scandale dans la presse et sur les réseaux sociaux. Pourtant, c’est bien par sa « production value » comme on dit dans le magazine professionnel « Variety » que le film se démarque : la lumière (Yorick Le Saux, qui a tourné avec François Ozon et Olivier Assayas mais aussi Jim Jarmusch), le son, le montage, les costumes (Jacqueline Durran, costumière attitrée de Mike Leigh et Joe Wright), la musique (Alexandre Desplat, deux fois oscarisé), le casting (Saoirse Ronan, Emma Watson, Laura Dern, Meryl Streep, Timothée Chalamet et Louis Garrel) ornent le générique du film tourné par Gerwig, égérie du cinéma indépendant et réalisatrice adulée de Lady Bird (2017).
Little Women n’est pas un film indépendant mais une production hollywoodienne (Sony Pictures) qui a coûté quelque 40 millions de dollars, ce qui n’est certes pas grand-chose comparé aux 100 millions qu’ont eus à disposition 1917 et Once upon a Time… in Hollywood ou les 160 millions dépensés sur The Irishman. Ce n’est toutefois pas tant le budget mais plutôt le contenu qui font de Little Women un film hollywoodien certes fort beau esthétiquement mais décevant sur le fond.
(c) Sony Pictures
D’abord, je dois avouer que je n’ai jamais lu le roman de Louisa May Alcott publié en 1868. Comme à part moi, tout le monde semble le connaître – et adorer ! – , il n’y a pas de spoilers à attendre : les quatre filles de la famille March vivent leur adolescence dans le Massachusetts durant la Guerre de Sécession. Leur père (Bob Odenkirk) étant aumônier dans l’armée, la mère – que tout le monde appelle Marmee – (Laura Dern) les élève seule tant bien que mal tout en consacrant l’essentiel de son temps à aider les veuves et les orphelins de guerre. Jo (Saoirse Ronan) est la plus rebelle, refuse de se marier (du moins dans un premier temps) et veut devenir écrivaine tandis que sa sœur Meg (Emma Watson) est coquette (mais sera bien punie quand elle épousera un instituteur pauvre, très gentil dans le film et un peu moins, semble-t-il, dans le roman), Beth (Eliza Scanlen) est introvertie et fragile et Amy (Florence Pugh) est la pimbêche de service qui veut devenir très riche ou très célèbre. Il y a aussi la tante March (Meryl Streep) ainsi que Laurie (Timothée Chalamet), le voisin, ami et complice de Jo jusqu’au jour où il lui avoue son amour et elle le rejette, ce dont il se remettra en épousant Amy.
Les Américains discutent depuis 50 ans pour déterminer si Little Women est une œuvre « proto-féministe » ou… le contraire. L’auteure semblait avoir résolu la question : elle qualifiait de « moral pap for the young » le livre qui avait fait sa réputation et sa fortune, et fut apparemment la première surprise de son succès ! Mais Simone de Beauvoir, Patti Smith et quelques autres l’ont cité comme source d’inspiration. De fait, le « garçon manqué » Jo peut plaire aux fillettes qui ne se reconnaissent pas spontanément dans les traditionnelles « qualités féminines ». Elle court dans les bois, dit quelques gros mots, n’aime pas les robes et n’est pas adepte de l’amour romantique. Pour moi, qui ne connaissais pas Little Women, la jeune Georgina qui exigeait qu’on l’appelle George dans Le Club des Cinq (Enid Blyton) remplissait un peu la même fonction.
(c) Sony Pictures
Mais il y a la suite. Greta Gerwig a choisi d’entrelacer la première et la deuxième partie du roman, l’adolescence et l’âge adulte qui est aussi pour les quatre filles March celui des renoncements, des sacrifices et du retour dans le giron familial. Jo apprend de sa mère que la plus grande qualité pour une femme est d’apprendre à contenir sa colère (pourquoi donc ?) ce sur quoi le film insiste. Amy abandonne son envie de peindre, ravale son orgueil et épouse le garçon qui avait d’abord aimé sa sœur Jo. Meg vend l’étoffe qui lui faisait tellement envie pour que son mari puisse se payer un manteau d’hiver. Et Beth se consume d’une mystérieuse maladie. Toutes, y compris Beth, finissent par accepter sereinement leur destin. Jo verra certes son livre publié mais elle choisit elle aussi de retourner dans sa famille et d’ouvrir une école. Les femmes se retrouvent cantonnées aux rôles de mères, d’infirmières et d’institutrices plutôt que d’aller découvrir le monde ou de partir à l’aventure. J’ai un peu de mal à comprendre ce qu’il y a de féministe là-dedans.
Certes, Greta Gerwig répète à l’envie que le mariage est une institution économique plutôt que romantique, ce qui n’est pas vraiment une révélation et n’empêche pas ses héroïnes de dire « oui ». Y compris Jo, encore que la réalisatrice trouve pour elle une belle pirouette : Jo, qui fonctionne dans le film comme le substitut de Louisa May Alcott (dont le roman était en effet en partie autobiographique), accepte que son personnage dans le livre qu’elle écrit se marie puisque son éditeur lui dit que le livre se vendra mieux, mais elle-même restera, comme Alcott, célibataire. Cette mise en abîme n’est-elle pas pourtant aussi un moyen de donner au public ce qu’il attend (le baiser final sous la pluie avec Louis Garrel) tout en le lui refusant (en vérité, Jo ne s’est pas mariée mais a publié son livre à la place), de jouer le jeu du cinéma commercial en se donnant l’air de ne pas y toucher ?
(c) Sony Pictures
Pour une adaptation qui se veut « moderne », le film est aussi curieusement prude. Il fourmille d’adolescent.e.s et de jeunes gens mais évite la moindre allusion à la sexualité. Jo n’est pas la seule à ne pas ressentir de désir pour le jeune homme qui lui fait la cour (ni pour qui que ce soit d’autre d’ailleurs), tous les personnages sont à l’avenant. Même la mère, qui voit revenir son mari de la guerre, ne lui offre qu’un chaste baiser sur la joue. Il n’est question que de sentiments, de bonté et de générosité que jamais aucun élan de la chair, aucune poussée d’hormones ne viennent troubler un tant soit peu. La plupart du temps, les quatre sœurs dansent, jouent, parlent chiffons et mode, pleurent sur un talon cassé ou une mèche brûlée. Little Women est par certains aspects proche de ce qu’on appelait autrefois un « woman’s film », des films souvent mélodramatiques, destiné à un public quasi exclusivement féminin, sur des femmes qui osaient braver les conventions mais étaient pour cela horriblement punies et ne trouvaient la rédemption que dans le sacrifice. Mais au lieu de la noirceur de ces œuvres surtout populaires dans les années 1930 et 1940, Greta Gerwig y mélange des relents de comédie romantique directement inspirés des adaptations de Jane Austen pour mettre en scène la chaleur rassurante et un peu sirupeuse (la musique y est pour beaucoup!) d’un cocon familial qui protège comme de bien entendu les femmes de toute tentation ou violence. La guerre de Sécession, qui forme tout de même l’arrière-plan de cette histoire édifiante, est évacuée en une phrase (« j’ai honte de mon pays » dit Marmee à l’un des deux seuls figurants afro-américains).
(c) Sony Pictures
On est loin, très loin, dans ce film sage et un peu guindé, des audaces d’une Jane Campion (An Angel at My Table, The Piano, In the Cut), d’une Kelly Reichardt (Wendy and Lucy, Meek’s Cutoff), d’une Debra Granik (Winter’s Bone, Leave No Trace), d’une Kathryn Bigelow (The Loveless, The Hurt Locker, Detroit) ou d’une Céline Sciamma (Tomboy, Portrait de la jeune fille en feu) qui s’aventurent sur des terrains autrefois réservés aux hommes ou proposent des regards radicalement nouveaux sur les femmes – et les hommes – au cinéma. Loin aussi de la sensualité et de la révolte que filme Deniz Gamze Ergüven dans Mustang quand elle met en scène cinq jeunes sœurs dans la Turquie d’aujourd’hui. Alors je veux bien qu’on dise que Little Women est un „beau film“ si on aime le genre „girlie“ mais certainement pas la grande oeuvre féministe qu’on nous avait promise.
Afin de promouvoir la visibilité des réalisatrices, forum_C publie la liste des film tournés par des femmes à l’affiche au Luxembourg. Du 19 au 25 février (par ordre alphabétique):
- Als Hitler das rosa Kaninchen stahl (Caroline Link)
- Birds of Prey (Cathy Yan)
- Un divan à Tunis (Manele Labidi Labbé)
- The Farewell (Lulu Wang)
- Die Heinzels (Ute von Münchow-Pohl)
- Frozen II (Chris Buck, Jennifer Lee)
- Latte Igel und der magische Wasserstein (Nina Wels, Regina Welker)
- Little Women (Greta Gerwig)
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