★★★★☆
(Viviane Thill) Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof vient de remporter l’Ours d’Or au festival de Berlin. Son film There is no Evil traite de la peine de mort (en 2018, Amnesty International a recensé 253 exécutions capitales en Iran) et des soldats qui doivent l’exécuter. Le cinéaste n’était pas présent à Berlin pour recevoir le prix. Il a été condamné pour la énième fois par le régime iranien et n’a pas le droit de quitter son pays. Pourtant, film après film, Rasoulof continue avec la même obstination de mettre en scène un Iran dans lequel ses personnages doivent faire des choix qui engagent leur liberté individuelle et leur conscience face à un régime dictatorial brutal et pervers. Que ce soit une avocate harcelée et emprisonnée dans son appartement (Goodbye, 2011), un écrivain que le régime veut faire disparaître (Les manuscrits ne brûlent pas, 2013) ou un paysan forcé de vendre son bien (Un homme intègre, 2017), ils savent le prix à payer, ou à faire payer à leur proches, pour leur acte de résistance.
Ce prix, Rasoulof le paie lui-même, lui qui aurait pu rester à l’étranger où il avait eu l’autorisation de se rendre en 2017 pour la présentation de Un homme intègre à Cannes. Il a choisi de retourner en Iran où c’est justement ce film qui lui a valu la condamnation qu’il subit maintenant. Ce qui ne l’a pas empêché de tourner entretemps – grâce à quelques subterfuges – There is no Evil. Il attend actuellement d’être remis en prison.
(c) trigon-film
Le même courage et la même obstination à résister caractérise Waad Al-Kateab, jeune femme d’aujourd’hui 28 ans, qui a choisi de rester à Alep bombardé puis assiégé. Wikipedia énumère 16 offensives et contre-offensives dans la ville entre 2012 et 2016 durant lesquelles ont été commis d’innombrables crimes contre l’humanité et crimes de guerre, les civils étant systématiquement ciblés par les différentes forces combattantes. Waad Al-Kateab aurait pu fuir mais a choisi de rester aux côtés de son mari Hamza, médecin en charge de l’un des rares et finalement dernier hôpital en service dans la ville. Il opère, avec les moyens du bord, les dizaines de blessés qui arrivent chaque jour et elle les filme. Pour témoigner et contrecarrer les mensonges de la télévision d’Etat, et aussi parce qu’être filmés est le dernier fil reliant encore les gens d’Alep à un monde qui voudrait les ignorer. Les reportages de Waad Al-Kateab ont valu un Emmy à la chaîne britannique Channel 4 qui les a diffusés, relayant ainsi l’un des très rares points de vue de l’intérieur de la ville durant la guerre civile (quelques-uns sont en ligne ici). En juillet 2016, elle se trouve en Turquie avec son mari et leur bébé Sama quand toutes les routes vers Alep sont bloquées par le régime de Bachar el-Assad. Le couple décide d’y retourner, au péril de leur vie et avec l’enfant, pour continuer à soigner les blessés et à témoigner !
(c) trigon-film
Ayant finalement été forcée par le régime à quitter Alep avec sa famille fin 2016, Waad Al-Kateab vit désormais en Grande-Bretagne où elle s’est attelée, avec la collaboration du cinéaste britannique Edward Watts, à rassembler ses reportages en un long métrage qu’elle a intitulé For Sama. Le film prend la forme d’un texte adressée à sa petite fille dans lequel elle lui explique pourquoi elle et Hamza ont décidé de résister, allant pour cela jusqu’à mettre en danger non seulement leur propre vie mais aussi celle de Sama. Le film devait d’abord être le récit chronologique de leur combat, depuis les manifestations pacifiques auxquelles Waad et Hamza ont participé avec enthousiasme, puis la répression brutale par le régime, les offensives et contre-offensives entre rebelles et le régime qui se succèdent, les attaques des islamistes et puis celles des Russes, ces avions russes qui balancent leurs bombes sur l’hôpital (qu’on voit se désintégrer devant les caméras de surveillance), jusqu’à la défaite finale et l’exile forcé. Mais ce récit était trop insoutenable, alors les deux cinéastes ont opté pour un récit non chronologique construit autour de Sama, la petite fille qui naît au milieu des bombes et devient dans l’hôpital de son père le symbole de la vie qui résiste.
(c) trigon-film
Même remonté, balançant entre les instants d’horreur pure et quelques-uns plus apaisés (le mariage de Waad et Hamza, des moments volés de tendresse avec Sama, un kaki offert par un mari à sa femme, quelques rares rires d’enfants), avec au milieu un miracle – un nouveau-né qui survit contre toute attente – le film de Waad Al-Kateab est terrifiant. La vie et la mort s’y côtoient quand Sama joue à proximité du cadavre d’un gamin couché à même le sol couvert de sang dans l’hôpital. Armée de son téléphone, d’une caméra et même quelquefois d’un drone qu’on lui avait prêté, Waad saisit, en évitant tout voyeurisme, l’horreur quotidienne à laquelle les médecins exténués doivent faire face et les habitants qui s’efforcent de vivre à peu près normalement entre deux attaques. Elle filme aussi les femmes comme son amie Afraa Hashem qui a comme elle refusé de fuir Alep et tente de faire oublier la guerre et la mort à sa petite fille terrifiée. Mais elle se focalise surtout sur les enfants, et parmi eux ceux nés durant la guerre, tellement habitués aux attaques qu’ils ne réagissent pas aux détonations des bombes qui, dans la salle de cinéma, font sursauter les spectateurs.
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For Sama est un film sur ce que signifie cette résistance que nous aimons tant célébrer quand nous parlons de la 2e guerre mondiale mais qui reste pour la plupart d’entre nous un concept abstrait. Waad Al-Kateab ne sait pas seulement ce que c’est, elle l’a filmée et fait de ce film un acte de résistance en soi. Aujourd’hui Waad Al-Kateab milite pour que cessent les destructions ciblés des hôpitaux et la guerre qui continue actuellement à Idlib.
For Sama passe dans les cinémas Scala (Diekirch) et CineStarlight (Dudelange).
Pour en savoir plus : une interview réalisée par le journal „Le Monde“ avec Waad Al-Kateab en 2017
Afin de promouvoir la visibilité des réalisatrices, forum_C publie la liste des film tournés par des femmes à l’affiche au Luxembourg. Du 26 février au 3 mars (par ordre alphabétique):
- Als Hitler das rosa Kaninchen stahl (Caroline Link)
- Birds of Prey (Cathy Yan)
- Un divan à Tunis (Manele Labidi Labbé)
- The Farewell (Lulu Wang)
- For Sama (Waad Al-Kateab)
- Die Heinzels (Ute von Münchow-Pohl)
- Latte Igel und der magische Wasserstein (Nina Wels, Regina Welker)
- Little Women (Greta Gerwig)
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