(Viviane Thill) Aujourd’hui, alors que la société a plus que jamais besoin de l’hôpital et des services de santé publique, certains doivent commencer à se ronger les doigts d’avoir en la matière voulu privilégier l’efficience (surtout économique), la compétition et une privatisation rampante qui ont conduit à l’épuisement des personnels et un système de santé chroniquement débordé, incapable de faire face à des crises telles que celles du Covid-19.
Certes, à écouter les médecins rassemblés autour de Caroline Mart dans l’émission Kloertext de ce 19 mars, le système de santé publique luxembourgeois semble encore plutôt stable et relativement bien préparé à l’assaut de malades attendu dans les jours qui viennent… à condition que celui-ci reste dans les limites des lits et équipements disponibles. Le talon d’Achille du Luxembourg se trouve plutôt dans le pourcentage très élevé de frontaliers sans lesquels ses services de santé ne pourraient pas fonctionner. Sur le site reporter.lu, Christoph Bump se demande ce qui se passerait si la France décidait de réquisitionner pour ses propres besoins les médecins et infirmiers français qui travaillent au Luxembourg.
Car le système hospitalier français, et celui d’autres démocraties occidentales, est depuis longtemps au bord de l’implosion. Hasard ou non, les possibles conséquences d’un tel effondrement sont au centre de deux documentaires présentés au Luxembourg City Film Festival avant que celui-ci ne soit abruptement stoppé jeudi dernier.

Collective (c) Samsa Film
Collective d’Alexandre Nanau, coproduit au Luxembourg par Samsa Film, dénonce les dysfonctionnements qui ont causé la mort de 64 personnes après un incendie dans une discothèque de Bucharest en 2015. 27 personnes sont décédées immédiatement et les autres 37 sont mortes à l’hôpital, un grand nombre d’entre elles non de leurs blessures mais d’infections nosocomiales. L’enquête journalistique qui a suivi a révélé que les produits désinfectants utilisés dans certains hôpitaux roumains avaient été dilués – aussi bien lors de leur production qu’une deuxième fois dans les hôpitaux eux-mêmes – jusqu’à devenir totalement inefficaces. Peu à peu, les journalistes mettent à nu une corruption généralisée qui a permis à une discothèque de fonctionner sans respecter les règles de sécurité les plus élémentaires, et a mené des médecins à falsifier les dossiers de leurs patients pour cacher qu’ils avaient été infectés.
Le cinéaste Alexander Nanau (dont on avait déjà remarqué l’excellent film Toto and His Sisters dans un Luxfilmfest précédent) suit les journalistes ainsi que le nouveau ministre de la Santé (l’ancien ayant dû démissionner après l’incendie) qui tentent les uns de faire la lumière sur les multiples scandales et l’autre d’aider les victimes et de remettre de la transparence et de l’éthique dans le système. Tous sont pareillement conscients que la corruption existait à tous les étages et que l’appât du gain et du pouvoir a fini par coûter la vie à des blessés qui auraient pu s’en sortir… et sans doute avant eux à de nombreux patients morts d’infections nosocomiales dans les hôpitaux roumains.

Collective (c) Samsa Film
Le constat est factuel et d’autant plus glaçant. Car au-delà du phénomène de corruption qu’on pourrait être tenté d’associer avec la seule Europe de l’Est, il met à nu un système dans lequel compte uniquement le raisonnement économique et non la mission de santé publique. Que ce soient quelques individus qui empochent l’argent comme en Roumanie, ou l’Etat qui estime que la santé publique doit coûter le moins possible, le résultat est finalement le même et le patient à chaque fois le perdant.
La situation est encore plus tragique au Mexique où le cinéaste Luke Lorentzen suit une famille dont la petite entreprise est constituée d’une ambulance qu’ils conduisent la nuit à Mexico, d’où le titre de son documentaire : Midnight Family. On apprend dès le début du film que la ville de Mexico dispose de 45 ambulances pour une population de 9 millions d’habitants ! En conséquence, de très nombreuses ambulances privées, conduites par des gens qui n’ont souvent pas ou peu de qualifications dans le domaine médical, se disputent un marché qui s’avère pourtant fort peu juteux. La plupart des ‘clients’ de la famille Ochoa n’ont pas les moyens de payer ses services, respectivement refusent de payer si un membre de leur famille arrive mort dans l’un des hôpitaux surchargés ou mal en point de la capitale. Il faut de plus graisser la patte des policiers pour que ceux-ci les laissent travailler, et faire la course avec les ambulances concurrentes pour arriver les premiers sur les lieux d’accidents. En contrepartie, ils sont parfois payés par les hôpitaux privés dans lesquels ils amènent leurs patients.

Midnight Family (c) Hedgehog Films
Si la famille Ochoa – et notamment le jeune Juan qui est en quelque sorte le héros du film – fait de son mieux sans toujours être payée en retour, on se doute bien que d’autres n’ont pas les mêmes scrupules. Les Ochoa eux-mêmes doivent parfois choisir entre la vie de leurs patients et leur propre survie financière. Le Mexique fait porter le poids – y compris le poids moral – d’un système de santé inexistant sur les épaules d’une population précaire dont les Ochoa font partie.
Nous sommes heureusement encore loin des exemples roumain et mexicain. Mais les deux films, qui relèvent pareillement de ce qu’on a coutume d’appeler le « documentaire d’observation » (sans commentaire ni intervention évidente du cinéaste) dévoilent chacun à sa façon les conséquences d’une médecine tentée par l’ultralibéralisme et qui a abandonné l’idée et la notion de service public. Or, la crise actuelle nous montre que c’est de service public que nous avons plus que jamais besoin.
Collective vient de recevoir le Prix du documentaire au Luxembourg City Film Festival. Sa sortie au cinéma, prévue initialement pour le 18 mars, a été repoussée à une date ultérieure.
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