
Viviane Thill
The Leftovers
Série phare initiée par HBO en 2014, The Leftovers ne traite pas vraiment d’une pandémie. La catastrophe à l’origine des 28 épisodes étalés sur trois saisons est plus brutale, plus radicale et plus mystérieuse : 2 % de la population mondiale disparaissent d’une seconde à l’autre. Vous étiez à côté de votre mari ou de vos enfants : quand vous vous retournez, ils ne sont plus là. Se sont-ils évaporés, ont-ils été kidnappés par des extraterrestres, rappelés à Dieu, est-ce un signe de la fin des temps à venir ? La série évoquera en filigrane ces hypothèses, mais ce qui intéresse réellement ses deux créateurs Tom Perrotta (auteur du roman initial) et Damon Lindelof (showrunner notamment de la série Lost, avec laquelle The Leftovers partage quelques points communs), c’est d’explorer comment une société – notre société – réagit à un événement aussi inattendu et qui l’ébranle dans ses certitudes les plus profondes. En situant les trois saisons respectivement trois ans, quatre ans et sept ans après l’événement lui-même, ils mettent – au contraire de la très grande majorité des films apocalyptiques ou post-apocalyptiques – l’accent non sur le jour ou les semaines d’après, mais traquent les traumatismes à long terme.
Car après ce que ceux qui restent appelleront le « Soudain Départ », leur vie ne sera plus jamais la même. Quelques-uns ont beau faire semblant, il y a un avant et un après qui ne tient pas seulement à l’absence inexpliquée des êtres aimés. La césure est plus existentielle : ils ont dorénavant conscience que tout ce qu’ils considéraient comme naturel et allant de soi peut, littéralement, disparaître d’un moment à l’autre. Ils vivent dès lors dans une angoisse, une expectative et une incertitude constantes. Quel sens donner à sa vie, à la vie tout court, dans ces conditions ?
Bien que la crise actuelle du coronavirus soit scientifiquement explicable, nous nous retrouvons aujourd’hui comme les protagonistes de The Leftovers dans une situation complètement inimaginable il y a encore un mois. Ce qui était urgent ne l’est soudain plus, l’économie tourne au ralenti, les magasins sont fermés, les rues sont vides. La société de consommation s’est en grande partie arrêtée de fonctionner. Tout ce qui pouvait nous rassurer jadis – comme la croyance que notre système de santé ferait facilement face à des crises graves – a volé en éclats en quelques jours. Et on ne sait pas quand cela s’arrêtera.
Les personnages de la série vont, chacun à sa façon, aller très loin – géographiquement et mentalement parlant – pour tenter de retrouver quelque chose à quoi se raccrocher. Plus d’une fois, le spectateur hésitera peut-être à les suivre. La traversée est éprouvante, parce qu’elle touche à nos convictions les plus intimes. Mais le jeu en vaut la chandelle : The Leftovers est une des rares productions à même de nous apprendre quelque chose sur nous-mêmes en ces temps étranges.
Viviane Thill est responsable du département film-tv au Centre national de l’audiovisuel. Elle est aussi scénariste et critique de cinéma, notamment dans forum où elle écrit depuis très longtemps sur le cinéma et est responsable de la rubrique forum_C. Sa dernière contribution à forum : « Sex, politique et cinéma. Carol Siegel : Sex Radical Cinema », dans forum 405, avril 2020, p. 69-71.

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