forum_C : „Da 5 Bloods“ de Spike Lee

★★☆☆☆

(Viviane Thill) Spike Lee aurait dû être le président du jury au 73e Festival de Cannes, annulé pour cause de coronavirus. Bien que produit par Netflix, son tout nouveau film Da 5 Bloods devait être présenté par la même occasion sur la Croisette, hors compétition. Lee a dû se passer de sa première cannoise mais Da 5 Bloods a été lancé sur le site de streaming au moment où le mouvement Black Lives Matter reprend de l’ampleur un peu partout dans le monde après le meurtre de George Floyd. Parallèlement Spike Lee a mis en ligne un montage juxtaposant les images de l’agonie de George Floyd et d’Eric Garner, étranglé en 2014 par deux policiers qui l’accusaient de vendre des cigarettes sur le marché noir, avec celles de la mort de Radio Raheem mise en scène en 1989 dans son film Do the Right Thing. Comme Floyd et Garner, Radio Raheem meurt étouffé par un policier tandis que la caméra filme ses pieds battant l’air, référence on ne peut plus claire aux lynchages des Afro-Américains dans l’Amérique esclavagiste puis ségréguée.

(c) Netflix

Depuis 1989, rien n’a donc changé ! Spike Lee a continué à tourner des films dont beaucoup se font l’écho de la colère du réalisateur qui s’est pourtant toujours vu comme un intermédiaire entre le monde des Blancs et celui des Noirs. Lee a grandi dans un quartier italo-américain, communauté qu’il a mise au centre de certaines de ses meilleurs fictions (Do the Right Thing, Summer of Sam). Dans Do the Right Thing, le personnage de Mookie (qu’il interprète lui-même) est son alter ego, médiateur mal à l’aise entre deux mondes et qui se voit finalement forcé de choisir son parti. Le réalisateur oscille pareillement depuis toujours entre Martin Luther King et Malcolm X qu’il cite abondamment tous deux dans ses films – c’est néanmoins au dernier qu’il a choisi de consacrer un biopic en 1992. Dans Da 5 Bloods, le héros mythifié est décrit par les autres protagonistes comme « à la fois notre Martin Luther King et notre Malcolm X » et les deux hommes apparaissent dans des images d’archives.

Stylistiquement, Spike Lee est tout autant l’homme des extrêmes. Il mêle de préférence la tragédie au burlesque, s’est essayé à tous les genres, adore les effets parfois appuyés de distanciation et n’hésite pas à intercaler dans ses fictions des images d’archives de toutes sortes. Cela donne souvent le meilleur et parfois le pire.

(c) Netflix

Dans Da 5 Bloods, le montage d’archives initial très violent sur la guerre du Vietnam est ainsi suivi par une très longue et assez fastidieuse introduction nous présentant quatre vétérans revenus au Vietnam, officiellement pour y rechercher le corps de leur ancien officier et mentor mort au combat, et secrètement pour y récupérer une caisse pleine de lingots d’or enterrés avec lui. Parmi eux, seuls Paul (Delroy Lindo) et Otis (Clarke Peters), ainsi qu’un peu plus tard David, le fils de Paul, (Jonathan Majors), sont des personnages crédibles. Les deux autres resteront jusqu’au bout des silhouettes et même (attention spoiler !) leur mort est vite oubliée, voire – dans le cas du deuxième – à peine mise en scène. Le vrai protagoniste et de loin le plus complexe est donc Paul, vétéran paranoïaque, adepte de Trump, rongé par la culpabilité et le stress post-traumatique, capable de risquer sa vie pour sauver celle de son fils, puis de le renier dans l’instant qui suit. La démesure même du personnage le sauve de la bouffonnerie à laquelle n’échappent pas des figures comme l’ancien colonisateur interprété sans enthousiasme par Jean Reno. Le trio de démineurs redresseurs de torts menés par Mélanie Thierry est tout simplement insignifiant alors qu’à d’autres moments le film se perd dans le mélodrame (enfants reniés ou inconnus, amours impossibles).

(c) Netflix

Faire jouer les acteurs avec leur physique d’aujourd’hui dans les scènes de combat est une bonne idée qui fonctionne et même la gaucherie avec laquelle ces combats sont filmés (en 16mm) peut passer pour du réalisme, loin des scènes d’action ultrasophistiquées dont nous abreuve Hollywood. Mais depuis le début, la quête des vétérans qui démarre sur un rafiot au son des Walkyries de Wagner, manque de cohérence et curieusement d’entrain. La virée vers Apocalypse Now dévie soudain vers le Trésor de la Sierra Madre quand l’or retrouvé rend fous les anciens frères de sang, sans pour autant devenir plus palpitante.

Tout au long de ce long voyage (plus de deux heures et demie), les personnages nous expliquent que les Afro-Américains ont été sacrifiés au Vietnam pour combattre, au nom d’un pays qui ne voulait pas d’eux, des gens qui ne leur avaient rien fait (comme le rappelle Mohamed Ali qui refusa d’y aller). Mais ces belles paroles, et même la violence crue du massacre de Mi Lay, étalée en photos devant nous, se perdent dans le trop-plein d’action, de péripéties, d’explosions, de discours bien intentionnés et d’images d’archives superposées les unes aux autres et reliées plus par la musique de Marvin Gaye que par le scénario. Le tout se termine en un hommage au mouvement Black Lives Matter qu’on peut difficilement ne pas applaudir.

Toute oeuvre capable de toucher aujourd’hui un large public et rappelant les injustices passées et présentes est importante. Cela n’en fait pas nécessairement un bon film.

 

Da 5 Bloods est disponible sur Netflix.

Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.

Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!

Spenden QR Code