(Viviane Thill) Disclosure est le titre d’un nouveau documentaire présenté sur Netflix depuis le 19 juin. Prenant exemple sur ce qu’avait fait en 1995 le film Celluloid Closet (Rob Epstein, Jeffrey Friedman) pour la représentation des homosexuels au cinéma, il montre comment ont été et sont représentées les personnes transgenre sur le grand et le petit écran. Produit notamment par l’actrice Laverne Cox qui porte en grande partie le film, tourné et conçu entièrement par des personnes trans, Disclosure s’adresse, selon le dossier de presse, aux 80% d’Américains qui disent n’avoir jamais rencontré une personne transgenre.
Laverne Cox (c) Netflix
Davantage qu’une analyse érudite de la thématique trans à l’écran, le film réalisé par Sam Feder se veut en premier lieu une réflexion sur l’effet qu’ont sur le spectateur lambda – mais aussi sur les jeunes trans eux-mêmes – l’image que renvoient le cinéma et la télévision des personnes trans. Il donne pour cela la parole à de très nombreux témoins issus du show business qui racontent comment ils et elles ont difficilement dû se construire une identité à partir d’une culture populaire qui les ignorait ou alors les présentait au choix comme des figures comiques, des victimes (on ne compte plus le nombre de prostituées transsexuelles tuées dans les films et les séries) ou des monstres psychopathes et tueurs/tueuses en série. A l’écran, les transgenre ont longtemps fait grassement rire ou… vomir comme n’arrête pas de le démontrer Jim Carrey dans Ace Ventura : Pet Detective après avoir découvert que la femme qu’il draguait arborait un pénis.
C’est l’un des rares extraits montrés in extenso dans Disclosure, comme pour mieux en souligner la cruauté. L’historienne Susan Stryker analyse la mise en parallèle entre un eunuque, la tête coupée d’Holopherne et les premières expérimentations en matière de montage (et donc de coupures d’images) par David W. Griffith dans Judith of Bethulia (1914). D’autres intervenants rappellent que la « tradition » consistant au cinéma à faire porter des vêtements de femmes à des personnages noirs (de surcroît souvent interprétés par des Blancs grimés) était aussi une façon de castrer la supervirilité fantasmée des hommes afro-américains.
De façon générale, le film intellectualise cependant peu son sujet et oublie parfois de contextualiser les films et émissions cités. Cela peut devenir un véritable handicap pour le spectateur européen quand il s’agit de séries, et plus encore d’émissions de téléréalité, qui ne sont pas forcément connues chez nous.

Bien plus qu’un exposé savant, ce sont les témoignages qui font tout l’intérêt de ce documentaire. A commencer par Laverne Cox elle-même, connue notamment pour le rôle de Sophia dans Orange is the New Black, et défenseuse engagée de la cause trans, qui raconte avec humour et passion son parcours, la construction de son identité et son combat pour rendre visible les personnes transgenre. D’autres parlent de la difficulté d’être noir et trans, ou asiatique et trans dans une société qui les refoule doublement. Tous et toutes se posent en combattants et non en victimes et ont conscience que leur réussite et la place qu’ils et elles ont réussi à se faire dans l’industrie du spectacle, peut servir de modèles à d’autres.
Midnight in the Garden of Good and Evil (c) Warner Bros
Quelques films, supposés présenter une image positive des transsexuels sont discutés plus en détail (mais encore une fois sans que le contexte ne soit nécessairement expliqué). L’un des exemples les plus emblématiques pour tous les intervenants interrogés semble avoir été The Lady Chablis, magnifique personnage dans Midnight in the Garden of Good and Evil de Clint Eastwood (1997). Lilly Wachowski s’est reconnue dans… Bugs Bunny transformée en Brunhilde dans une parodie de Richard Wagner (cela finit mal mais après tout, c’est un opéra). Il est aussi notamment question des aspects positifs et négatifs pour la cause trans du documentaire Paris is Burning (Jennie Livingston, 1990) sur la « ball culture » dans les communautés afro- et latino-américaines à New York, et assez longuement de Boys Don’t Cry (Kimberly Peirce, 1999) sur le meurtre d’un jeune homme trans interprété par Hilary Swank, qui a bouleversé les uns et horrifié les autres. Ce film est aussi l’occasion d’évoquer les personnages trans souvent interprétés par des acteurs et actrices cis. Le problème n’est pas tant qu’on prive les acteurs et actrices trans d’un rôle qui semble fait pour eux et elles mais que le personnage lui-même se voit ainisi réduit à cette unique caractéristique : un homme transformé en femme ou vice-versa ! La transsexualité devient en quelque sorte le clou du spectacle. Et ce d’autant plus que le moment-clé des films est souvent celui où ce « secret » du personnage est dévoilé au grand jour. Le réalisateur monte les uns derrières les autres des hommes trans qui arrachent leur chemise pour montrer leurs seins (l’effet est assez comique). Un montage équivalent de pénis arborés par des femmes trans ne figure pas dans le documentaire mais aurait été possible et encore plus percutant. Le moment-choc (vendu comme tel dans le marketing du film) dans Crying Game (Neil Jordan, 1992) quand Stephen Rea découvre que Dil (Jaie Davidson) possède cet attribut et… commence à vomir, aurait pu y figurer en bonne place! Il est cependant montré par ailleurs.
Stephen Rea fixant l’objet du scandale. The Crying Game (c) Palace Pictures
C’est peut-être ce qui irrite le plus les personnes présentes dans le film : cette fixation sur leur sexe physique, ces animatrices à la télé qui ne peuvent se retenir de demander à leurs invitées trans ce qu’elles ont fait de leur pénis (et qui insistent lourdement lorsque ces dernières refusent de répondre). On pourrait en tirer toute une réflexion sur la sacralité du pénis et le sacrilège que représente par conséquent le fait de vouloir s’en débarrasser ou au contraire, pour une femme, d’en avoir un ! Le film ne va pas jusque-là et on peut le regretter comme on peut déplorer le fait qu’il ne regarde jamais vers le cinéma européen qui aurait pourtant mérité un détour et des discussions. Pedro Almodóvar ne dit-il pas dans Tout sur ma mère que les seuls hommes dignes de considération sont ceux qui ont décidé de porter des seins ?
Correction: un passage difficilement compréhensible de l’article a été corrigé le 2.7.2020.
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