(Viviane Thill) Flatland est le troisième long métrage de la réalisatrice sud-africaine Jenna Cato Bass. Aucune de ses premières œuvres, qui ont pourtant été sélectionnées dans des festivals internationaux, n’est arrivée jusqu’au Luxembourg. C’est donc sans doute indirectement au Filmfund et surtout à Deal Productions que nous devons la découverte de cette encore jeune cinéaste (elle a 34 ans). Rappelons que Deal est dirigée par deux femmes (Désirée Nosbusch et Alexandra Hoesdorff) qui n’ont certainement pas par hasard sauté sur l’occasion de participer à la production de ce film. La longue liste des coproducteurs et soutiens divers au générique révèle par ailleurs le difficile financement de Flatland coproduit au final par l’Afrique du Sud, le Luxembourg et l’Allemagne. Il a été présenté en ouverture de la section Panorama au festival de Berlin en 2019 et est distribué mondialement par Match Factory, l’un des plus gros vendeurs de films indépendants.
Intéressée par le cinéma de genre et les multiples façons de le subvertir, Jenna Cato Bass (dont on peut voir une interview à propos du film ici) a voulu faire un western moderne, situé au Karoo, une région semi-désertique en Afrique du Sud dont les paysages ressemblent en effet à ceux qu’on voit d’habitude dans les films sur le Far-West états-unien. Mieux, elle a voulu tourner un western féministe. On sait que le racisme (essentiellement envers les Amérindiens) est un sujet permanent dans les westerns américains, qu’ils l’épousent (beaucoup de films jusque dans les années 1950), le questionnent (Broken Arrow, Anthony Mann 1950 ; Sergeant Rutledge, John Ford 1960 ; Cheyenne Automn, John Ford 1964) ou le dénoncent plus ou moins violemment (Soldier Blue, Ralph Nelson, 1970 ; Little Big Man, Arthur Penn 1970 ; Dances With Wolves, Kevin Costner 1990 ; Django Unchained, Quentin Tarantino 2012). Mais le vrai sous-texte dissimulé dans quasiment tous les westerns n’est-il pas celui de la masculinité toxique ? Pensez au nombre innombrable de films dans lequel un jeune blanc-bec est forcé de tuer alors qu’il ne le veut pas, aux vengeances sanglantes exercées pour laver la honte d’une atteinte parfois mineure à l’honneur des protagonistes, l’obsession des armes, la répression de toute émotion, la relégation des femmes dans un univers à part dans lequel le héros n’a jamais sa place. Flatland est un film sur la masculinité toxique.
On y voit un homme battre à mort son frère parce que celui-ci a fait une remarque déplacée sur sa fiancée, un autre qui tremble devant son père et ne peut voir dans la femme qu’il vient d’épouser qu’une sainte ou un objet sexuel, un troisième force une jeune fille enceinte à se mettre à nu parce qu’elle a commis l’erreur de le gifler devant ses copains, tandis qu’un quatrième ne semble guère enclin à endosser la responsabilité de sa paternité. Ils sont tous autant victimes que bourreaux, agissant sous la pression d’une société et de codes de conduite qui ne conçoivent les rapports humains qu’en termes de domination.
Trois femmes sont au centre du film. Natalie (Nicole Fortuin), une jeune femme noire, vient d’être mariée à un tout aussi jeune homme blanc, engoncé dans son costume trop grand pour lui, et elle n’en semble pas heureuse. Quand il la viole durant la nuit de noces, elle court retrouver son cheval et est surprise par le pasteur qui vient de la marier. Un coup de feu plus tard, elle est en fuite sur son cheval, une arme dans son sac. Elle est bientôt rejointe par Poppie (Izel Bezudenhout), son amie, sa sœur blanche puisque sa mère les a allaitées toutes les deux. Enceinte jusqu’aux yeux, Poppie voit dans leur virée un divertissement bienvenu et la possibilité de rejoindre le père de son bébé. Parallèlement, l’inspectrice de police (noire) Beauty Cuba (Faith Baloyi) cherche à savoir où est son ancien fiancé tout juste sorti de prison. Natalie et Beauty, la meurtrière présumée et l’inspectrice de police qui traque la vérité sur le crime commis, sont les deux pôles d’un récit dans lequel aucun personnage n’est tout blanc ou tout noir (si l’on peut dire cela dans un film qui thématise aussi l’héritage de l’apartheid).
Jenna Cato Bass puise dans le grand réservoir d’images des westerns, des films policiers et des road movies qu’elle met à son service pour construire un film intense bien que parfois un peu confus à la fin, mais toujours d’une belle force visuelle. La photographie, dans laquelle dominent le rose et le bleu, est due à Sarah Cunningham qui sait passer des moments de confusion (tournés souvent au plus près des personnages quand se dilue leur champ de vision) au réel le plus cru, tout en mettant en scène à la fois les grands espaces et l’enfermement des personnages. Pour la directrice de la photo, c’est son deuxième long métrage et Flatland révèle ainsi deux femmes (outre les excellentes actrices encore inconnues chez nous) qui posent un regard nouveau sur le cinéma.
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