„Mignonnes“ de Maimouna Doucouré

★★★★☆

(Viviane Thill) Après Énorme de Sophie Letourneur et Flatland de Jenna Cato Bass, Mignonnes révèle une troisième réalisatrice à suivre. 

Alors qu’il est sorti en France sur grand écran à la mi-août, le film Mignonnes est, dans le reste du monde, directement disponible sur Netflix depuis le 9 septembre. Aux Etats-Unis, il a immédiatement fait scandale, les ultraconservateurs et quelques bienpensants hurlant au scandale et appelant à la censure parce qu’ils y voient une glorification de la pédophilie. Une pétition sur change.org encourageant les utilisateurs à boycotter Netflix a rassemblé plus de 600.000 signatures. Le film est interdit en Turquie qui l’accuse également d’islamophobie. Les fondamentalistes de tout bord font ainsi une fois de plus bon ménage quand il s’agit de réduire au silence les supposés infidèles et les femmes.

Car Mignonnes est le premier long métrage d’une réalisatrice d’origine sénégalaise qui, issue elle-même d’une famille polygame, y raconte en partie sa propre histoire qu’elle avait déjà traitée dans l’excellent Maman(s) (César du meilleur court métrage en 2017). Cette fois, elle thématise par ailleurs l’hypersexualisation des pré-adolescentes dont elle a recueilli les confidences pour écrire son scénario.

Prix de la meilleure réalisation dans la section « World Cinema » au Festival de Sundance en janvier, mention spéciale du jury à la Berlinale où il a été montré dans la section jeunesse, Mignonnes avait accumulé les honneurs et une majorité de critiques positives avant sa mise à disposition sur Netflix. Sans apparemment que la réalisatrice en soit informée, la plateforme américaine a réalisé une affiche trompeuse qui semble présenter ces gamines de 11 ans comme des objets sexuels. La photo a été entretemps retirée et Netflix a présenté ses excuses.


A gauche: l’affiche française (c) Bac Films – A droite: l’affiche réalisée par Netflix (c) Netflix

La photo est extraite de l’une des dernières séquences du film, celle justement où la petite Amy (Fathia Youssouf) comprend qu’elle est en train de perdre son âme dans une exhibition qui ne lui ressemble pas. Mais commençons par le commencement. Amy a 11 ans et occupe avec sa mère et ses deux frères un petit logement dans un foyer près de Paris. Elle apprend bientôt que la chambre « interdite » dont la porte est toujours fermée, attend en réalité le retour de son père et de la deuxième épouse qu’il est allée chercher au Sénégal. Elle voit la souffrance de sa mère (Maïmouna Gueye) ainsi reléguée au second plan et l’asservissement des femmes par la tradition religieuse sur laquelle veille une vielle tante  interprétée par Therese M’Bissine Diop (actrice légendaire en 1966 de La Noire de…  d’Ousmane Sembène, considéré comme le tout premier long métrage réalisé par un cinéaste d’Afrique noire). A l’école, elle se met alors à rêver de faire partie d’une bande de filles férues de twerk qui se promènent en short et crop-top et qu’elle regarde s’entraîner pour un concours de danse. Son ticket d’entrée dans la bande: montrer à ses nouvelles copines des mouvements lascifs qu’elle a appris sur internet et dont les fillettes ne saisissent de toute évidence pas la charge sexuelle. Leurs tenues provocantes leur valent des « like » et plein de petits cœurs sur les réseaux sociaux et pour Amy, c’est l’occasion d’échapper à la l’atmosphère de plus en plus lourde qui règne à la maison. A l’heure où son corps se transforme, la société ne lui propose ainsi que deux voies qui la soumettent pareillement au désir masculin.

C’est ce que dénonce Maimouna Doucouré et elle le fait sans aucune ambiguïté, filmant toujours à hauteur d’enfant. Le film est entièrement tourné du point de vue d’Amy, intégrant des éléments de l’univers du conte, nous faisant participer aux peurs, aux interrogations et à la confusion d’Amy. Même quand elles glissent la main dans leur entrejambe, les fillettes ne sont pas sexualisées par la caméra. Elles ne font qu’imiter malhabilement et en rigolant beaucoup, des images de femmes présentées sur internet comme des modèles à suivre. Mais plutôt que d’en faire des victimes vaincues d’avance, la réalisatrice les présente comme des battantes, réincarnations féminines et modernes du titi parisien : délurées, effrontées, (il faut les voir remettre à sa place, en le traitant de « pédophile », le vigile imprudent qui a saisi l’une d’elles par le bras), et grandissant comme elles peuvent dans un monde dans lequel elles devront s’imposer et trouver leur place. Amy se trompe momentanément d’armes mais la réalisatrice ne laisse pas de doute sur le fait qu’elle s’en sortira, aidée par sa mère qui se soumettra à son devoir mais en libérera sa fille.

Maimouna Doucouré touche à beaucoup de sujets : la polygamie, les réseaux sociaux, la tradition, la religion, la condition sociale, l’hypersexualisation des femmes et des fillettes mais aussi – sujet moins souvent traité – le rôle des femmes dans leur propre asservissement. Elle les traite avec beaucoup de sensibilité et sans manichéisme et réussit avec Mignonnes un film puissant porté par de magnifiques actrices. Gageons que c’est aussi cela qui n’a pas plu aux censeurs qui tentent d’étouffer dans l’oeuf la carrière d’une jeune réalisatrice prometteuse.

Disponible sur Netflix

 

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