„Yalda – La nuit du pardon“ de Massoud Bakshi

★★★☆☆

(Viviane Thill) Téhéran, vue du ciel : des milliers de phares dans la nuit. Ce sont autant d’histoires en puissance. Dans Yalda, la nuit du pardon, coproduit au Luxembourg par Amour Fou et lauréat du Grand Prix du Jury au Festival de Sundance 2020, le réalisateur iranien Massoud Bakshi va nous raconter l’une d’entre elles. Mais parce qu’elle se passe dans un studio de télévision, cette histoire-là sera suivie par des millions de spectateurs, sommés de juger si la toute jeune femme qui en est la protagoniste doit être graciée ou exécutée.


Maryam (Sadaf Asgari)  (c) Amour Fou

Désorientés, les spectateurs occidentaux mettront peut-être un certain temps à saisir les enjeux du récit : Maryam (Sadaf Asgari) a provoqué accidentellement la mort de son mari et, conformément à la loi du talion toujours appliquée en Iran, a pour cela été condamnée à mort. L’émission de télévision à laquelle elle s’apprête à participer la placera face à Mona (Behnaz Jafari), la fille du défunt. Celle-ci aura le choix de lui accorder ou non son pardon, la sauvant ainsi le cas échéant de l’exécution. Les téléspectateurs sont invités à voter et s’ils sont assez nombreux pour revendiquer le pardon, les sponsors de l’émission payeront « le prix du sang » qui devra être versé pour remplacer l’exécution.

Maryam joue donc sa vie dans cette émission, tandis que Mona se retrouve dans la position de celle qui doit choisir de pardonner ou non à la femme qui a tué son père. Les circonstances du drame ne seront pas expliqués ou plutôt ils le sont dans un reportage réalisé par la télévision mais que Maryam conteste.


Mona (Behnaz Jafari)  (c) Amour Fou

D’emblée, le réalisateur met en place un scénario assez compliqué qui joue sur plusieurs tableaux. L’action se passe en temps plus ou moins réel, quasi entièrement dans le bâtiment de la télévision. Entre les coulisses et le studio où l’émission est diffusée en direct, il y a un va et vient permanent, les images qui passent sur le petit écran pendant les pauses restant souvent visibles en arrière-plan ou sur l’un des écrans de contrôle de la régie. Les multiples pièces du grand bâtiment séparent les personnages les uns des autres. La mère de Maryam (Fereshteh Sadre Orafaiy) est souvent tenue à distance dans un bureau, Maryam et Mona qui doivent se faire face au studio sont séparées dans les coulisses tandis qu’au rez-de-chaussée, un couple énigmatique qui cherche désespérément à entrer, est bloqué à l’accueil. Le seul vrai personnage masculin est le producteur, un manipulateur quasi divin mais pas si bienveillant que cela, qui met en scène tout ce qui se passe au studio (où il dirige à l’oreillette l’animateur-vedette) et dans les coulisses.


Maryam (Sadaf Asgari)  (c) Amour Fou

Chaque personnage a des choses à cacher. Maryam est celle dont la vie est en jeu mais on ne saura pas ce qu’elle pense véritablement de la mort de son mari avec lequel elle avait contracté un mariage temporaire. Les enjeux sociaux sont constamment sous-jacents. Maryam vient d’évidence d’une famille pauvre, son père était le chauffeur de son futur mari, elle-même était son employée et beaucoup plus jeune que lui. Le mariage temporaire peut dès lors apparaître comme un ersatz de prostitution mais il permettait aussi à Maryam de s’élever dans la société… au grand dam de Mona qui ne semble guère avoir apprécié l’arrivée de cette « rivale ». D’autant plus que Maryam, malgré un contrat de mariage qui lui interdisait d’avoir un enfant, était tombée enceinte et que ce futur enfant menaçait l’héritage de Mona. Si c’était un garçon, il aurait de plus droit à une part beaucoup plus importante que la sienne. Or, de Mona on apprend qu’elle est sur le point de quitter l’Iran et a donc besoin d’argent. Quand à la mère de Maryam, un revirement la mettra au centre d’un récit qu’elle semblait jusque-là squatter.


Maryam (Sadaf Asgari) et sa mère (Fereshteh Sadre Orafaiy)  (c) Amour Fou

Sur cette critique directe des inégalités sociales et la société patriarcale se greffe une critique des médias : décors clinquants, crises de nerfs en direct et reportages tape-à-l’œil sont les éléments de base de toute télé-réalité auxquels s’ajoutent dans le contexte iranien des chansons sirupeuses et quelques poèmes pieux. Malgré les larmes de Maryam, ce décor tout en néons froids établit une distance étrange avec les personnages qui ne sont par ailleurs pas très fouillés. Leur complexité est davantage déclarée que véritablement montrée. Et alors que Maryam est le personnage principal, la plus intéressante bien que partiellement négligée par le scénario est Mona, prise entre l’amour d’un père, des sentiments ambivalents envers Maryam, un besoin d’argent et l’énorme pression de devoir pardonner alors qu’au fond d’elle-même elle n’est pas sûre de le vouloir.

Si le film n’est ainsi pas tout à fait abouti, il est néanmoins prenant et d’autant plus choquant qu’il est largement basé sur la réalité. L’émission de télévision mise en scène dans le film est inspirée d’une émission iranienne existante. Et avec les recettes du film en Iran (où il a pu passer dans quelques salles), le réalisateur a soutenu une ONG qui essaie de convaincre les familles de victimes de pardonner officiellement aux meurtriers et tente de rassembler l’argent pour que ceux-ci puissent payer « le prix du sang ». Ils ont pu en libérer deux dont l’exécution était imminente.  

 

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