„Collective“ d’Alexander Nanau

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En mars, le documentaire Collective d’Alexander Nanau fut l’un des derniers présentés au Luxembourg City Film Festival avant la fin prématurée du festival et le confinement qui allait suivre. Le film de Nanau (coproduit au Luxembourg par Samsa Film) a été tourné en 2016 mais la crise sanitaire qui a coïncidé avec sa présentation au Luxembourg, lui a conféré un sens nouveau.

(c) Alexander Nanau Production, Samsa Film, HBO Europe 2019.
Photo: Magnolia Pictures

Collective documente une crise sanitaire qui se mue en crise politique majeure en Roumanie. En 2015, un incendie dans une salle de concert – le « Colectiv » à Bucarest – provoque la mort de dizaines de jeunes gens. La salle ne disposait que d’une seule sortie et les services de réanimation qui ont accueilli les grands brûlés étaient incapables d’assurer les soins nécessaires : deux conséquences directes de la corruption générale qui gangrène le pays et la classe politique. La tragédie se mue en traumatisme national, la population demande la démission du gouvernement. Celui-ci est remplacé quelques jours plus tard par un nouveau gouvernement dit « de technocrates » (indépendants des partis).

C’est là que commence le film d’Alexander Nanau, qui a la nationalité allemande et roumaine et est notamment l’auteur de l’excellent documentaire Toto et ses sœurs (présenté au Luxfilmfest 2015 où il avait reçu le prix du meilleur documentaire) sur une famille rom vivant en marge de la société. Collective est en premier lieu un thriller politique, en tout point égal aux grands classiques comme All the President’s Men (Alan J. Pakula, 1976). Deux protagonistes, l’un journaliste (Catalin Tolontan) et l’autre homme politique (Vlad Voiculescu), vont découvrir peu à peu l’implication des plus hautes autorités dans un scandale sidérant, et tenter de le révéler au grand jour.

Les images éprouvantes de la panique, filmées à l’intérieur du Colectiv, s’incrustent dans la mémoire des spectateurs et créent la toile de fond par rapport à laquelle ceux-ci recevront ce qui suit. D’après ses déclarations dans le dossier de presse, Alexander Nanau était d’abord parti pour suivre les victimes et leurs familles qui exigent des réponses de la part du gouvernement. Mais pour émouvantes qu’elles soient, leurs revendications ne trouvent guère d’écho avant qu’un journal (sportif !) ne les reprenne et se lance dans un travail d’investigation exemplaire qui aboutit à une découverte ahurissante :  les désinfectants utilisés dans les hôpitaux roumains sont dilués jusqu’à ne plus guère avoir d’effet !

Le documentaire joue résolument sur l’iconographie habituelle des films sur la presse : conférences de presse, discussions avec des sources anonymes en pleine nuit dans les locaux déserts de la rédaction, surveillance et prise de vue en cachette des suspects, zooms sur les visages des présumés coupables, impression des journaux et reprise des grands titres à la télévision. Les caméras et les écrans de contrôle sont mis en évidence, les rituels des conférences ministérielles et des talk-shows démontés.

Catalin Tolontan (c) Alexander Nanau Production, Samsa Film, HBO Europe 2019.
Photo: Magnolia Pictures

Les coups de théâtre se succèdent : un suspect meurt mystérieusement dans un accident de voiture, des « whistleblowers » apparaissent et amènent au journal des documents enregistrés secrètement dans les hôpitaux. Aux deux tiers du film, à l’occasion d’un remaniement ministériel, Nanau change sa caméra d’épaule. II suit désormais Vlad Voiculescu, le nouveau ministre de la Santé, un jeune homme idéaliste qui joue la transparence et accepte la présence de la caméra jusque dans les réunions de crise au ministère. C’est David contre Goliath : le ministre novice qui ignore la langue de bois (ce qui semble stupéfaire les journalistes lors d’une conférence de presse), résolu à remettre de la déontologie dans le système de santé roumain, se bat contre une administration bureaucratique et sclérosée, des blocages à tous les niveaux et un système mafieux prêt à tous les coups bas pour protéger ses intérêts. Face aux journalistes, de guerre lasse, il transgresse l’omertà gouvernementale et nomme ses adversaires : népotisme, corruption, conflits d’intérêts. Une femme médecin dit: „Ils ont perdu toute humanité. Seul l’argent compte“.

Vlad Voiculescu (c) Alexander Nanau Production, Samsa Film, HBO Europe 2019.
Photo: Magnolia Pictures

Alexander Nanau a passé 14 mois à filmer et 18 mois à monter son documentaire. Il a conservé les moments clés des investigations des journalistes et des combats du ministre mais aussi et surtout leurs moments de silence, d’hésitation, de consternation, d’abattement. Il filme leur réactions au plus près. Un journaliste assis par terre dans la rédaction, un ministre qui casse le machin en plastique qu’il tripotait, la nervosité des uns, l’effarement des autres, les moments de joie et les jours de peur et de désespoir.

De façon inattendue, l’espoir dans ce film sur les égarements de la démocratie, vient du côté des victimes. Tedy Ursuleanu est une rescapée de la tragédie du Colectiv. Cruellement marquée sur tout son corps par les brûlures, elle a également perdu la majorité de ses doigts et l’utilisation de ses mains. Mais elle se bat pour aller de l’avant, pas béatement comme le font certains « feel good movies », mais avec un courage et une dignité tranquilles qui subjuguent le ministre et d’évidence aussi le réalisateur. Les photos dans lesquels elle reprend possession de son corps sont à la fois sa révolte et sa victoire. L’une d’elles se retrouve dans le bureau du ministre.

Tedy Ursuleanu (c) Alexander Nanau Production, Samsa Film, HBO Europe 2019.
Photo: Magnolia Pictures

Comme ses grands modèles hollywoodiens des années 1970, Collective démontre l’importance d’une presse non seulement libre mais surtout prête à questionner les déclarations officielles et qui a le courage – et les moyens – d’enquêter quand des intérêts majeurs sont en jeu. Le réalisateur interroge la possibilité qu’ont des individus – en l’occurrence victimes, journalistes, témoins, ministre novice… ou cinéaste – de dénoncer les abus et de faire évoluer le fonctionnement des régimes politiques. La crise du coronavirus a démontré que même dans les démocraties les plus performantes, les gouvernements ont tendance dans certaines situations à se crisper, qu’ils peuvent être tentés de verrouiller l’accès à des informations importantes. Elle a aussi révélé au grand jour divers disfonctionnements des systèmes sanitaires et montré à quel point nos gouvernements ont pouvoir de vie et de mort sur nous tous. Pour toutes ces raisons, Collective est un non seulement un grand film et un film important mais c’est surtout un film qui parle très exactement des différentes crises – sanitaire mais aussi politique – que nous traversons en Europe et dans le monde en 2020.  

Collective est le candidat roumain pour l’Oscar du meilleur film étranger. Il est au programme du festival Cineast et à l’affiche dans les salles au Luxembourg.

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