„The Trial of the Chicago 7“ d’Aaron Sorkin

★★★☆☆

(Viviane Thill) Un beau jour, lorsque l’ère Trump sera passée, les historiens se pencheront sur ce que fut le cinéma sous le 45e président des Etats-Unis. Gageons qu’alors The Trial of the Chicago 7 figurera en bonne place. Aux côtés de Spike Lee (BlacKkKlansman, 2018), Steven Spielberg (réalisateur de The Post, 2017 et producteur de The Trial of the Chicago 7) et Aaron Sorkin (scénariste et réalisateur) seront cités parmi les cinéastes représentatifs du Hollywood démocrate farouchement opposé à Donald Trump.

Quatre des accusés et l’avocat William Kunstler (c) Netflix

Il n’est certainement pas fortuit que les trois films nommés ci-dessus se passent sous la présidence de Nixon. L’actuel président a quelques points communs avec son prédécesseur, à commencer par le fait d’être un menteur invétéré et de se faire comme lui le chantre du « law and order ».

L’épisode des sept de Chicago (qui étaient huit) débute lors de la convention démocrate à Chicago en 1968. Différentes associations se rendirent dans la ville pour protester contre la guerre du Vietnam. Des émeutes éclatèrent, il y eut de nombreux blessés. Le procureur général sous la présidence de Lyndon B. Johnson décida de ne pas poursuivre l’affaire car le rôle joué par la police était pour le moins douteux. Mais une fois Nixon installé en 1969, le nouveau procureur John Mitchell (qui ira plus tard en prison pour son rôle dans l’affaire du Watergate) décide de frapper un grand coup contre la racaille de gauche : il fait intenter un procès pour incitation à la révolte à huit « agitateurs ». Parmi eux se trouvent Abbie Hoffman (Sacha Baron Cohen) et Jerry Rubin (Jeremy Strong) du Youth International Party, Tom Hayden (Eddie Redmayne) du SDS (Students for a Democratic Society), David Dellinger (John Carroll Lynch) du Mobe (National Mobilization Committee to End the War in Vietnam) et le Black Panther Bobby Seale (Yahya Abdul-Mateen II) Le procès s’étire sur cinq mois. Il est présidé par un juge très partial qui ira jusqu’à faire enchainer et bâillonner Bobby Seale qui n’avait, de plus, ni droit à son défenseur (absent pour cause de maladie) ni celui de se défendre lui-même!

Bobby Seale et William Kunstler (c) Netflix

The Trial of the Chicago 7 est certes un film politique mais c’est d’abord et avant tout un excellent divertissement, très bien écrit par Sorkin lui-même et monté à cent à l’heure par Alan Baumgarten (American Hustle, Mollie) qui jongle constamment entre trois niveaux : les scènes au tribunal, les discussions entre les accusés et les faits dont il est question. L’idée est due à Spielberg qui avait demandé à Sorkin un scénario sur l’affaire dès 2006 (on était alors sous la présidence Bush jr.). Le projet resta inabouti et Spielberg le relança après l’élection de Trump.

Le „courtroom drama“ est un genre à part qui a donné quelques grandes oeuvres, de Twelve Angry Men (Sidney Lumet, 1957) à Une intime conviction (Antoine Rimbault, 2018) en passant par A Few Good Men (Rob Reiner, 1992) ce dernier écrit par… Aaron Sorkin. Avec ses parties antagonistes, son public, ses temps forts, ses rebondissements et son suspens, le tribunal est l’équivalent d’une salle de spectacle. Les accusés dans le procès de Chicago l’avaient bien compris. Abbie Hoffman (que Sacha Baron Cohen, beaucoup trop âgé pour le rôle et néanmoins parfaitement crédible, interprète sur la corde raide entre clownerie et gravité) et Jerry Rubin ridiculisent tout au long le rituel ampoulé du tribunal. Le film est en grande partie construit sur les tensions entre plusieurs personnages : le juge Julius Hoffman (Frank Langella) contre Abbie Hoffman (aucun lien de parenté entre eux); Julius Hoffman contre l’avocat William Kunstler (Mark Rylance); Abbie Hoffman contre Tom Hayden. Le procureur Richard Schultz (Joseph Gordon-Levitt), qui représente le « bon Américain » (conservateur mais juste), reste finalement assez en retrait et à vrai dire plutôt fade, évincé par des accusés haut en couleur et le parfait méchant qu’incarne le juge.

Abbie Hoffman et Jerry Rubin (c) Netflix

Trump se reflète dans pas moins de deux personnages : John Mitchell dont la seule motivation pour lancer ce procès voué à l’échec semble être de prendre le contre-pied de son prédécesseur Ramsay Clark qui s’est (selon lui) montré condescendant à son égard, caricaturant ainsi l’obsession trumpienne de faire en tout le contraire d’Obama, et bien sûr l’inénarrable Juge Hoffman qui fait fi de toutes les conventions et règles, balayant d’un revers de main les objections venant de Kunstler, lui coupant sans cesse la parole, ignorant la loi quand il fait bâillonner Seale. L’un des prévenus suggère de faire intervenir un psychiatre pour établir si le juge dispose encore de toutes ses capacités mentales…

Bobby Seale n’avait rien à faire dans ce procès. Il n’avait pas été impliqué dans les émeutes et n’avait pas de lien avec les autres accusés dont il se moque d’ailleurs en remarquant que leurs problèmes d’adolescents en révolte contre leurs aînés ne sont guère comparables aux lynchages et au racisme que subissent les Noirs. Le tournage s’étant déroulé en 2019, la question « Can you breathe ? » qu’un défenseur inquiet pose à Seale baîllonné n’a pas pu être conçue comme un rappel du meurtre de Georges Floyd (à moins d’avoir été ajoutée au montage), mais résonne particulièrement aujourd’hui. Mais au-delà de cet épisode, le film semble ne pas trop savoir quoi faire de Seale. On peut lui reprocher (et certains l’ont fait) de ne refléter une fois de plus que le point de vue de jeunes hommes blancs plutôt privilégiés. On peut surtout regretter sa retenue très spielbergienne. Certes, Sorkin fait dire à Bobby Seale  à propos de Martin Luther King : « He had a dream ? Well, now he has a fucking bullet in his head. Martin’s dead, Malcom’s dead, Medgar’s dead, Bobby’s dead, Jesus is dead. They tried it peacefully, we’re gonna try something else. »


Jerry Rubin, David Dellinger et Abbie Hoffman (c) Netflix

Mais le film se garde bien de creuser cette idée et tente plutôt de calmer les esprits en reforgeant l’unité américaine. La mise en scène des émeutes, qui sont pourtant reconstituées à grand renfort de figurants et d’images d’archives, est assez confuse et nous laisse émotionnellement à l’extérieur. De ce côté-là, Sorkin a encore quelques leçons à prendre auprès de Spike Lee (Do the Right Thing, 1989). Crispant (du moins pour la plupart des non-Américains) est aussi le pathos de la dernière scène qui réunit tout le monde (sauf les quelques méchants) dans l’hommage rendu aux soldats tombés au Vietnam. A moins d’y voir un dernier pied de nez à Trump qui s’est plusieurs fois démarqué par son refus d’honorer les vétérans.

The Trial of the Chicago 7 aurait dû sortir au cinéma. Pour cause de coronavirus, il est directement disponible sur Netflix

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