(Viviane Thill) Au fur et à mesure que la crise du coronavirus se prolonge, que la deuxième vague nous submerge et que les pays se reconfinent les uns après les autres, la question de la mort du cinéma ressurgit dans certains médias. Faute de salles et dans l’obligation de rentabiliser le plus rapidement possible leurs productions déjà prêtes, beaucoup de studios se sont tournés vers les grandes plateformes commerciales pour essayer de rentrer tant bien que mal dans leurs frais. Disney semble de plus en plus résolu à sauter l’étape de la salle pour proposer directement ses produits sur ses propres plateformes – c’est autant de gagné pour eux ! Pour l’instant, No Time To Die dont la sortie était initialement prévue en avril puis en octobre 2020, est toujours annoncé en salle en avril 2021, mais pour des raisons sans doute moins nobles que ne le prétend le studio MGM quand il déclare « The film is not for sale. The film’s release has been postponed until April 2021 in order to preserve the theatrical experience for moviegoers ». Les obstacles semblent en réalité essentiellement financiers (MGM demanderait 600 millions de dollar !) et contractuels.

Au Luxembourg, les salles sont encore ouvertes mais dans des conditions difficiles pour les exploitants et les spectateurs. La plupart des films à l’affiche au Grand-Duché proviennent de distributeurs belges… qui ne distribuent pas grand-chose tant que les cinémas belges restent fermés. Certaines productions viennent d’Allemagne qui a également refermé ses salles. Il reste essentiellement les films qui étaient déjà à l’affiche, certaines productions luxembourgeoises et quelques rares sorties de films européens auxquels doit cependant s’adjoindre ce mercredi le très attendu Mank de David Fincher qu’on nous annonce – cela tombe bien ! – comme « une déclaration d’amour au cinéma ». Le film raconte la relation difficile entre le scénariste Herman J. Mankiewicz (interprété par Gary Oldman) et le réalisateur Orson Welles qui se disputent âprement la paternité de Citizen Kane, premier film de Welles et qui est régulièrement cité parmi les chefs-d’œuvre du 7e art.

La nouvelle crise du cinéma ne date pas du coronavirus même si celui-ci l’a nettement accélérée. Les cinémas ont toujours été dépendants de Hollywood mais cette domination s’est considérablement accrue au XXIe siècle depuis que quelques très grosses productions – généralement des franchises – phagocytent la majeure partie des salles et assurent la quasi-totalité des recettes dans certains pays. Sans ces produits hollywoodiens, les salles s’effondrent, ce qui est en train d’arriver en ce moment. Les salles luxembourgeoises ont opté pour accueillir en avant-première les films programmés sur les plateformes de streaming (Mank sortira en décembre sur Netflix). Offrir les films en exclusivité pendant quelques semaines avant leur distribution sur les plateformes est un pis-aller qui permet aux exploitants de continuer à profiter de ces productions. Les plateformes semblent cependant vouloir réserver cette stratégie à quelques films dits « de prestige », la sortie salle devenant alors un outil de marketing entre autres. Ce qui ne l’empêche pas d’être aussi un lieu privilégié qui met en valeur les films en demandant toute l’attention du spectateur, contrairement aux plateformes commerciales où l’on consomme en « binge watching » des images à le queuleuleu.

L’absence de films américains laisse la place libre aux productions européennes ou à des documentaires qui ressemblent malheureusement parfois à des bouche-trous mais dont certains tirent leur épingle du jeu comme Drunk de Thomas Vinterberg (sélectionné pour Cannes) ou Antoinette dans les Cévennes (Caroline Vignal). Le succès du festival de Villerupt au Cinestarlight à Dudelange après l’arrêt des séances en France pour cause de reconfinement, montre qu’il reste encore des cinéphiles curieux et adeptes de la salle noire. Comptant en profiter, Melusine Productions a courageusement décidé de sortir début décembre son film Le voyage du prince, réalisé par Jean-François Laguionie, l’un des maîtres du dessin animé européen.

Ce qui fait vraiment peur en fait, ce n’est pas seulement la possible disparition des salles de cinéma après le transfert des productions hollywoodiennes sur les grandes plateformes, mais la marchandisation et l’uniformisation de la culture cinématographique, le manque de diversité (nationale, thématique, esthétique, politique) ainsi que la sclérose intellectuelle qui en découleraient. Il est bien connu que les algorithmes des plateformes commerciales vous proposent systématiquement, voire tentent de vous imposer avec une certaine insistance, ce que vous êtes déjà supposé aimer ou bien ce que la majorité des gens regardent. Pour faire face à ce danger-là, rester curieux et garder l’esprit ouvert, la moindre des choses est de varier les plaisirs et, en attendant le déconfinement général et le retour de plus nombreux films dans les salles, de partir à la découverte d’autres plateformes qui existent mais, ne disposant pas des moyens de Netflix, Amazon et compagnie, sont beaucoup moins visibles.

Il y a bien sûr la plateforme vod.lu qui, outre de très nombreuses productions et coproductions luxembourgeoises, offre un choix varié et très riche de films notamment européens. Il y a Mubi qui, sur abonnement, propose chaque mois une sélection (en revanche, pas de film au choix ou à l’unité). La sélection est souvent très pointue mais on y trouve également ce mois-ci Drive (Nicolas Wending Refn, 2011) et The Place Beyond the Pines (Derek Cianfrance, 2013) avec Ryan Gosling, Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2008) ou encore The Producers (Mel Brooks, 1967). Nouveau venu sur le marché luxembourgeois, LaCinetek présente plusieurs particularités. On peut y louer ou acheter un film à l’unité, prendre un abonnement pour une sélection de dix films par mois ou faire un mélange des deux. Tous les films disponibles sur la plateforme ont été proposés par 88 cinéastes du monde entier. Vous pourrez ainsi découvrir les films préférés de Scorsese, des frères Dardenne, de Paul Verhoeven ou François Truffaut. Ce qui est quand même plus exaltant qu’un algorithme Netflix ! LaCinetek est née de la volonté de trois cinéastes français (Pascale Ferran, Laurent Cantet et Cédric Klapisch) qui voulaient mettre à disposition « les films les plus importants de l’histoire du cinéma ». Plusieurs cinémathèques proposent par ailleurs sur le site des « trésors cachés » dont notamment des films d’Alice Guy, première réalisatrice et productrice de l’histoire du cinéma. Des bonus élaborés spécialement pour le site viennent enrichir les informations autour des films.


Madame a des envies (Alice Guy, 1907), l’un des films proposés sur LaCinetek

Rappelons enfin que les médiathèques luxembourgeoises offrent sur simple inscription un catalogue très fourni et très varié de films, que la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg est toujours ouverte et que les toutes les salles du pays fonctionnent. Sur grand (de préférence) et sur petit écran, le cinéma, sous toutes ses formes, continue de vivre.

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