★★★☆☆
(Viviane Thill) Le film de guerre, dans ses aspects militaires, n’est pas vraiment une spécialité française. Il y a bien sûr quelques exceptions parmi lesquelles on citera quasiment toute l’oeuvre de Pierre Schoendoerffer, Capitaine Conan de Bertrand Tavernier (1996) ou encore Indigènes de Rachid Bouchareb (2006). Mais dans l’ensemble, les cinéastes français s’aventurent rarement dans le film de combat et quand ils le font, il faut bien avouer que c’est parfois pour le pire. On se souvient (ou peut-être pas) des désastres artistiques que furent Harrison’s Flowers (Elie Chouraqui, 2002), The Search (Michel Hazanavicius, 2014) ou Les filles du soleil d’Eva Husson (2018). Ce dernier tentait malhabilement de rendre hommage aux combattantes kurdes s’opposant à des « extrémistes » anonymes. Dans la nouvelle série No Man’s Land, actuellement diffusée sur arte et disponible sur le site en ligne de la chaîne franco-allemande, ceux-ci sont au moins nommés : c’est Daech, en pleine expansion en 2014, quand commence le récit.
Un hommage aux combattantes kurdes (Haut et Court TV – Spiro Films – Masha Productions – Versus Production – ARTE France)
Initié par une équipe israélienne dont notamment Ron Leshem, scénariste et producteur de la série Euphoria et du film de guerre Beaufort (2007), ainsi que Maria Feldman et Amit Cohen, créateurs de la série False Flag auxquels s’est adjoint le réalisateur de cette dernière, Oded Ruskin, No Man’s Land n’en est pas moins une production essentiellement française dont les protagonistes sont français et le point d’ancrage est Paris. Comme Les filles du soleil, la série prétend toutefois s’intéresser en premier lieu aux YPJ, ces bataillons kurdes constitués de femmes (et apparemment de quelques recrues masculines européennes dont on n’apprend pas pourquoi ils se retrouvent dans ces unités féminines…). C’est dans l’une d’elle, aperçue dans un journal télévisé, qu’Antoine (Félix Moati), jeune Parisien sur le point de fonder une famille, croit reconnaître sa sœur Anna (Mélanie Thierry), disparue deux ans auparavant dans un attentat en Egypte. Aussitôt, il abandonne femme et enfant à naître et se retrouve du jour au lendemain en Syrie où il tombe aussitôt dans les mains de Daech et est sauvé in extremis par des soldates kurdes dont la cheffe Sarya (Souheila Yacoub) parle un français parfait, ce qui s’avère fort pratique pour la suite.
Candide dans l’enfer de la guerre (Haut et Court TV – Spiro Films – Masha Productions – Versus Production – ARTE France)
Décidé à retrouver sa sœur qu’il croit toujours en vie et à laquelle le lie un terrible secret qu’on découvrira au fil des épisodes, Antoine s’attache à Sarya et aide celle-ci à faire exploser un pont (car par chance il est ingénieur en bâtiments). Les Kurdes le surnomment Alice comme Alice au pays des merveilles, mais c’est plutôt Candide dans l’enfer de la guerre.
Les médias français se sont pour la plupart extasiés sur cette série qui mêle drame familial, thriller et film de guerre alors que leurs confrères américains sont restés sceptiques, entre autres parce qu’elle raconte la guerre en Syrie du seul point de vue de personnages européens, et le combat des femmes kurdes vu par les yeux d’un homme. Il est bien sûr difficile à des Français ou des Israéliens de se mettre dans la peau de Syriens pris au piège de la guerre, mais de les occulter aussi complètement est en effet plus que gênant.
Le bon, le crétin et le tourmenté chez Daech (Haut et Court TV – Spiro Films – Masha Productions – Versus Production – ARTE France)
Plus malheureux encore : les premiers épisodes semblent sortis tout droit d’un manuel du parfait petit scénariste, à commencer par le fait qu’il faille prendre le spectateur par la main, lui faire découvrir la guerre à travers quelqu’un à qui il est censé pouvoir s’identifier (car les auteurs semblent supposer qu’on ne peut pas s’identifier à un Syrien ou une Kurde) et lui justifier dans de pesants et intrusifs flashbacks le pourquoi et le comment de chaque action et de chaque personnage. Un exemple assez sidérant en sont les retours en arrière censés expliquer le départ en Syrie de trois jeunes Britanniques qui décident de rejoindre les rangs de Daech. C’est le bon, le crétin et le tourmenté. Du côté adverse, Sarya, à laquelle Souheila Yacoub parvient à conférer un vrai charisme malgré des dialogues insipides, sert essentiellement de traductrice et plus tard d’amoureuse à Antoine dont l’interprète Félix Moati reste au contraire terne de bout en bout. Et quand le Mossad entre en jeu pour recruter deux des personnages principaux, on se croirait dans un mauvais remake du Bureau des légendes (excellente série française disponible sur a-z.lu).
Mélanie Thierry sauve in extremis la saison 1 (Haut et Court TV – Spiro Films – Masha Productions – Versus Production – ARTE France)
Mais comme souvent dans les séries, l’assiduité paie. Il faut attendre l’arrivée de Mélanie Thierry dans le rôle d’Anna, la sœur disparue qu’on n’avait vue jusque-là qu’en photo et qu’on avait fini par prendre pour un fantôme. Intense, troublante, bouleversante, elle donne vie et crédibilité à un personnage rare – celui d’une femme faisant la guerre – et sauve ainsi tardivement la série. L’épisode six, qui lui est presque entièrement consacré, est le meilleur de la saison, celui à partir duquel d’autres personnages révèlent mieux leurs parts d’ombres et sont confrontés à des dilemmes existentiels. Les destins des différents personnages se rejoignent alors de façon assez astucieuse jusqu’à une fin qui laisse plusieurs d’entre eux en suspens pour mieux augurer d’une saison 2 qu’on est finalement curieux de découvrir.
No Man’s Land est disponible sur arte.tv jusqu’au 29 mai 2021
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