Filmer un accouchement reste considéré comme un morceau de bravoure dans le cinéma de fiction. Le nouveau film du Hongrois Kornél Mundruczó fait ainsi parler de lui grâce à sa longue séquence d’ouverture relatant un accouchement qui tourne au drame.
Désormais disponible sur Netflix, le film Pieces of a Woman, le premier tourné en langue anglaise par le réalisateur hongrois Kornél Mundruczó (auteur de l’intéressant White God en 2014 et du désastreux La lune de Jupiter en 2017) a valu le prix d’interprétation féminine du festival de Venise à son actrice Vanessa Kirby (la princesse Margaret dans la série The Crown).

D’évidence, elle doit cet honneur à la longue séquence d’ouverture, filmée en un seul plan qui donne habilement l’impression de nous faire vivre en temps réel le difficile accouchement à domicile de Martha, le désarroi de son compagnon Sean (Shia LaBeouf) complètement dépassé, et la panique qui monte quand les battements de cœur du bébé à naître s’espacent. Ce n’est pas spoiler le film que de révéler que l’accouchement tourne au drame car c’est le point de départ du récit.
Mais autant la première séquence prend à la gorge, autant la suite du film paraît construite, souvent lourdement symbolique à l’image de ces grains que Martha fait germer et qui vont finir par devenir un superbe pommier signalant le retour à la vie, de la même manière que les eaux gelées d’un long fleuve tranquille signifiaient auparavant la mort et la paralysie. Les acteurs jouent trop visiblement pour la caméra et l’on se sent parfois plus gêné que bouleversé devant cet étalement affecté d’émotions à l’état brut.

„Autant la première séquence prend à la gorge, autant la suite du film paraît construite, souvent lourdement symbolique.“
Que Vanessa Kirby ait eu droit à un prix à Venise n’est pas surprenant. La représentation de la naissance d’un être humain met les cinéastes devant un défi particulier. Du moins s’ils veulent le montrer de façon réaliste – il ne sera pas question ici des films d’horreur et des comédies qui mériteraient un exposé à part.
Acte physique et très intime, la mise en scène de l’accouchement pose des problèmes semblables à celle de l’acte sexuel. S’il est feint, on a du mal à y croire mais le filmer « en vrai » fait (parfois trop) brutalement surgir la réalité dans la fiction et soulève d’autres questions dont celle de la dignité de acteurs et actrices concerné-e-s. Dans tous les cas, montrer un accouchement à l’écran reste considéré comme un morceau de bravoure . Voici un petit florilège tout à fait subjectif et non représentatif.

Petit florilège des accouchements au cinéma
Avant les années 1960, le Code Hays américain interdit formellement de filmer une naissance (« Scenes of actual child birth, in fact or in silhouette, are never to be presented »). En conséquence, l’une des premières naissances réelles montrées dans un film public est sans doute due au réalisateur expérimental Stan Brakhage dans son court métrage Winter Water Baby Moving (1959). C’est un film poétique dont le réalisme (on voit le bébé sortir, le cordon ombilical coupé et même, en gros plan, le placenta expulsé) est contrebalancé par un montage non linéaire et très rythmé (alors que le film est muet) et par la douceur de l’éclairage sur le visage et le ventre de sa femme. Quand Brakhage envoya le film de l’accouchement au laboratoire pour être développé, les responsables de ce dernier, choqués, menacèrent de détruire la pellicule. Pour la récupérer, il fallut une lettre d’un médecin prétendant que le film avait été fait pour des raisons médicales. Et il paraît qu’aujourd’hui des spectateurs et spectatrices sortent de la salle ou s’évanouissent encore en découvrant ces images.
En Hongrie, la réalisatrice Márta Mészáros crée également un scandale en filmant en 1976 l’accouchement réel de l’actrice Lili Monori qui joue le rôle principal dans son film Neuf mois. Il s’agit cette fois d’un film de fiction et la scène est assez forte que je m’en souvienne 40 ans après ! Les critiques de cinéma hongrois ont attribué à Lili Monori le prix de la meilleure interprétation féminine.
Dans le cinéma documentaire, on peut citer Regarde, elle a les yeux grands ouverts dans lequel Yann Le Masson documente en 1975 les activités d’un groupe de femmes pratiquant sans assistance médicale directe des interruptions de grossesse mais également des accouchements, avec le but de redonner aux femmes la maîtrise de leur corps. L’une d’elle donne ainsi naissance dans le film à sa fille, entourée des militantes (et quelques militants) du groupe et de leurs enfants. La séquence dure environ 15 minutes et est à la fois réaliste et empreinte d’une grande sérénité et tendresse. A la fin, on voit la mère tirer pratiquement elle-même l’enfant de son corps.

Plus près de nous, Alain Guiraudie ne montre dans Rester Vertical que le sexe de la femme accouchant, ce qui fut rendu nécessaire par l’obligation d’assurer l’anonymat de la mère mais renforce le côté « Origine du monde » de la séquence qui a fait couler en 2016 des litres d’encre au festival de Cannes où le film a été présenté en compétition officielle. Preuve que le sujet reste difficile : on a davantage parlé de cette scène que de celle où le protagoniste fait l’amour à un vieillard mourant ! Il est vrai que la naissance était « vraie » et la mort était jouée.
Dans un registre un peu différent mais pour le coup beaucoup plus drôle, Sophie Letourneur a filmé pour son film Énorme de vrais accouchements mais sans les mettre à l’écran. Elle ne montre que les visages des sages-femmes entourant les mères qui sont remplacées à l’écran par son actrice Marina Foïs.

Dans Pieces of a Woman, il s’agit donc d’un accouchement « feint ». C’était difficilement faisable autrement étant donnée l’issue tragique mais cela fait que bien évidemment on ne voit pas l’enfant arriver au monde. Kornél Mundruczó et sa scénariste Kata Wéber – qui est également sa partenaire dans la vie et avec laquelle il a vécu l’expérience d’une fausse couche – ont adapté une pièce de Mundruczó et il a voulu reproduire l’intensité du premier acte montrant l’accouchement d’où le choix, avec son directeur de la photo Benjamin Loeb, d’un plan-séquence d’une bonne vingtaine de minutes ce qui rendait d’autant plus impossible le recours aux trucages. Le plan a été filmé six fois en deux jours et c’est la quatrième prise qui a été retenue. Ils ont peut-étre trop bien réussi : c’est la scène dont tout le monde parle et que tout le monde retiendra. Elle vaudra probablement d’autres prix à Vanessa Kirby mais au final ne sauve pas le film du ratage.
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