„En thérapie“ d’Eric Toledano et Olivier Nakache
Arte lance une nouvelle série intitulée En thérapie, supervisée par les deux réalisateurs de Intouchables (2011), Eric Toledano et Olivier Nakache. Composée de 35 épisodes déjà accessibles gratuitement sur le site internet de la chaîne, elle nous invite dans le cabinet d’un psychothérapeute.
Philippe Dayan (Frédéric Pierrot) est un psychothérapeute dont le cabinet est situé non loin du Bataclan à Paris. Quand la série commence, les attentats du 13 novembre 2015 viennent d’ébranler la France et se répercutent sur la vie du thérapeute et celle de ses patients.

(c) ARTE France, Les Films du Poisson, Federation Entertainment et Ten Cinéma
Nous apprendrons à en connaître quatre qui viennent une fois par semaine du lundi au jeudi, le vendredi étant consacré à la visite de Philippe chez son « contrôleur » Esther (Carole Bouquet), une femme qu’il semble avoir bien connue autrefois et avec laquelle il entretient d’évidence des rapports conflictuels. Ce qui n’est peut-être pas le meilleur point de départ pour une analyse sereine. Sans être une spécialiste, il me semble que, de façon générale, Philippe a beaucoup de mal à mettre de la distance entre sa vie professionnelle et sa vie privée. Cela se reflète dans la mise en espace de la série : son cabinet est situé dans l’appartement qu’il partage avec sa femme (Elsa Lepoivre) et ses enfants, séparé de sa sphère privée seulement par un étroit couloir. Pour aller chez Esther, il doit au contraire ravir un étroit escalier en colimaçon, symbole de la difficulté qu’il a – tout psychothérapeute qu’il est – à se connecter à son inconscient qu’elle est chargée de lui dévoiler.
En thérapie est la déclinaison française d’une série israélienne sortie en 2005 et en reprend à la fois le dispositif et les caractéristiques principales des personnages. L’original Betipul a déjà adapté de très nombreuses fois, la version la plus connue étant l’américaine In Treatment (2008-2010) avec Gabriel Byrne dans le rôle du médecin et Dianne Wiest dans celui de son contrôleur.

(c)ARTE France, Les Films du Poisson, Federation Entertainment et Ten Cinéma
Chaque épisode, d’une durée entre 20 et 30 minutes, équivaut à un rendez-vous et est constitué pour l’essentiel du face à face entre l’analyste et l’analysant.e. Point donc ici de digressions, de scènes d’action ou de flash-backs. On est dans un dispositif d’écoute dans lequel prime la qualité des dialogues et celle des acteurs et actrices. Mélanie Thierry est Ariane, une chirurgienne qui a opéré les blessés du Bataclan et est amoureuse de Philippe tout en sachant qu’il est (en principe) hors de portée. Reda Kateb interprète Adel Chibane, policier d’origine algérienne, parmi les premiers à être entrés dans la salle de concert alors que les terroristes s’y trouvaient encore. Il est d’évidence sous choc post-traumatique mais ce concept semble heurter l’image de l’homme viril et protecteur qu’il s’est forgée. Léonora (Clémence Poésy) et Damien (Pio Marmaï) forment un jeune couple attendant leur deuxième enfant et pas sûrs de le vouloir. Camille (Céleste Brunnquell) est une toute jeune nageuse professionnelle, apparemment négligée par ses parents. Elle désarçonne Philippe parce qu’elle lui rappelle sa fille qui a le même âge et dont elle porte d’ailleurs les vêtements dans un des épisodes.

Eric Toledano et Olivier Nakache ont réalisé les épisodes mettant en scène Ariane et Adel tandis que Pierre Salvadori (En liberté !, 2018), Nicolas Pariser (Alice et le maire, 2018 ) et Mathieu Vadepied prenaient en charge respectivement ceux de Camille, Léonora et Damien et les rencontres avec Esther. Chaque réalisateur ayant ainsi « ses » patient.e.s, une continuité s’est mise en place qu’on ressent dans les épisodes, moins par la mise en scène à laquelle le dispositif n’autorise pas énormément de variations, que par le jeu des acteurs et actrices et les relations qui s’installent entre Philippe et chacun.e de ses patient.e.s.
„[Un] désarroi plus diffus encore sous-tend la série et touche à la place de l’homme dans le monde actuel.“
L’ambition des auteurs est de thématiser à travers les angoisses individuelles les peurs et les interrogations collectives d’une société française en crise après un événement traumatique. De façon évidemment non prévisible au moment du tournage l’année dernière, l’anxiété exprimée par les personnages après les attentats de 2015 renvoie aux inquiétudes suscitées par la crise sanitaire actuelle. De manière plus dissimulée, la série thématise aussi une violence réprimée (et qui parfois explose sans crier gare) plus générale. Comme dit Adel, Philippe ne pourra pas toujours se cacher dans sa « bulle », ce grand appartement cossu et qui pourtant se trouve à quelques dizaines de mètres seulement de là où a eu lieu un massacre pendant qu’il dormait. Une tache de sang laissée sur son canapé (rouge !) par une patiente semble l’alarmer outre mesure et on dirait qu’à chaque fois que le policier plonge la main dans son veston, Philippe s’attend à ce qu’Adel en sorte une arme (que celui-ci assure pourtant laisser dans sa voiture).

(c) ARTE France, Les Films du Poisson, Federation Entertainment et Ten Cinéma
Mais un désarroi plus diffus encore sous-tend la série et touche à la place de l’homme dans le monde actuel. Philippe, qui repère immédiatement chez Damien un doute sur sa virilité, semble plus rétif à diagnostiquer pareil questionnement chez lui-même. Il parait pourtant vite déstabilisé, non seulement quand il voit le sang laissé sur son canapé par une femme enceinte, mais face à Ariane qui veut le séduire de façon très offensive ou Camille qui le tente de manière plus cachée. Confronté à Esther qui le reprend constamment sur sa pratique professionnelle, il a quelque mal à conserver sa position « surplombante » de mâle dominant qu’il perd tout à fait quand sa femme Charlotte lui révèle qu’elle « voit quelqu’un » ce que, dans une sorte d’acte manqué, il s’obstine un instant à mal interpréter (il veut croire qu’elle voit un psy alors qu’elle voit un autre homme).
Le cordonnier étant toujours le plus mal chaussé, Philippe s’avère ainsi incapable d’appliquer à lui-même les sages conseils et les analyses qu’il impose aux autres, ce qui donne parfois lieu à des échanges amusants. Très bien écrite (en premier lieu par David Elkaïm et Vincent Poymiro), la série oscille ainsi constamment, de façon habile, entre l’émotion, la théorie (on nous explique Freud, Lacan et les principes de la psychothérapie) et une certaine légèreté qui est la marque de fabrique du duo Toledano/Nakache. Pio Marmaï est notamment très drôle dans l’interprétation d’un homme quelque peu perdu qui s’assied visiblement à contre-cœur sur le canapé rouge et se livre avec sa femme des escarmouches dont Philippe est tour à tout le témoin et la cible.
En thérapie réussit à happer le public avec un concept aussi simple qu’efficace pour l’amener à écouter ces „gens qui doutent“ et, comme le chantait Anne Sylvestre, disent et se contredisent, mais qui nous ressemblent beaucoup.
En thérapie sera diffusé sur Arte à partir du 4 février et est disponible sur arte.tv jusqu’au 27 juillet 2021.
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