Luxfilmfest_01: Hit the Road

Auréolé du Lion d’Or à Venise, de deux Golden Globe (pour le meilleur film et la meilleure réalisation) et d’une flopée de récompenses  pour le meilleur film, la meilleure réalisation et la meilleure actrice attribuées par différentes associations de critiques, Nomadland a fait jeudi soir l’ouverture du 11e Luxembourg City Film Festival.

Malgré les difficiles conditions sanitaires et grâce à la politique d’ouverture de la culture luxembourgeoise, le Luxfilmfest est en train de réussir là où la Berlinale a dû pour l’instant déclarer forfait (avec uniquement un marché en ligne et des séances publiques prévues en été) tandis que Cannes a d’ores et déjà décidé de repousser (pour l’instant officiellement en juillet) ses festivités.


L’affiche qui fait rêver du Luxembourg City Film Festival 2021

Le festival luxembourgeois propose des séances en salle et en ligne. Les responsables politiques et les organisateurs n’ont pas manqué de s’en réjouir lors des discours d’ouverture jeudi soir et il y a de quoi : organiser la mise à disposition d’une centaine de films alors qu’une grande partie des salles de par le monde restent fermées, que beaucoup trop d’œuvres (dont certaines au programme du Luxfilmfest) ont préféré sauter purement et simplement la case cinéma pour être diffusées directement sur des plateformes commerciales et que d’autres attendent depuis parfois un an une hypothétique sortie en salles, cela est à considérer comme un signe fort en faveur du cinéma en général et des salles en particulier. La plateforme (géobloquée au Luxembourg) n’est ici clairement qu’un pis-aller, pour permettre à un plus grand nombre de spectateurs de profiter tant bien que mal des films dénichés par les organisateurs. Mais c’est surtout l’occasion de voir sur grand écran des films qu’on espère de qualité et dont certains étaient attendus depuis longtemps, comme There is No Evil, Ours d’Or au Festival de Berlin 2020, ou donc le film d’ouverture Nomadland.


(c) Searchlight Pictures

L’Amérique vue d’ailleurs

Plus encore que d’autres, Nomadland est un film à voir impérativement sur grand écran, les paysages de l’Ouest américain constituant l’un de ses sujets principaux. Chinoise née à Beijing en 1982 mais éduquée en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, la réalisatrice Chloé Zhao revisite depuis ses débuts la mythologie américaine en y superposant sa vision d’étrangère élevée dans une autre culture qui lui confère une distance que n’ont ni les Américains ni même les Européens baignant dès leur naissance dans „l’American way of life“. Dans Songs My Brother Taught Me (découvert à Cannes en 2015), elle bousculait les stéréotypes traditionnellement liés aux peuples autochtones dans les westerns, en racontant l’histoire d’une jeune femme lakota et de son frère dans une réserve du South Dakota, en bordure de ces Badlands qui réapparaissent dans Nomadland. Elle y imposait déjà son style basé sur le travail – et sur une grande part d’improvisation – avec des acteurs non professionnels à qui elle demande de jouer des personnages proches de leur propre vécu. En se situant à l’exact opposé du cinéma commercial, aussi bien sur le fond que sur la forme, elle nous invite ainsi à repenser notre perception de la société américaine forgée par cent ans de cinéma hollywoodien.

Nomadland est passionnant parce qu’il aborde sans jugement préconçu toutes ces questions touchant au cœur de la mythologie américaine❞

Dans The Rider (présenté à Cannes, en 2017), la réalisatrice s’attaquait de front à l’image du héros américain par excellence, le cowboy, en mettant au centre de son récit un jeune cowboy lakota handicapé après une chute.


(c) Searchlight Pictures

Des cowboys modernes

La version moderne des cowboys errant à travers les plaines du Far West sont les « hobos » et les « migrant workers » qui continuent, parfois par choix et plus souvent par nécessité, de traverser les Etats-Unis de ville en ville à la recherche d’emplois saisonniers. S’il leur arrive, comme jadis, de trouver ceux-ci dans l’industrie agricole, c’est surtout dans les stations touristiques ou chez Amazon qu’ils sont aujourd’hui employés pour quelques semaines ou mois. Logés dans des gîtes de fortune qu’ils doivent quitter dès que leur contrat vient à terme, certains préfèrent habiter dans leurs caravanes. C’est le cas de Fran, expulsée de sa maison après la faillite de l’entreprise où travaillait son mari et le décès de ce dernier. Elle laisse alors derrière elle sa vie d’avant et la ville devenue fantôme et part dans sa camionnette réaménagée, tentant de faire son deuil en vivant jour après jour.

Dans Nomadland, Frances McDormand est cette sexagénaire, seule sur la route, qui partage avec ses compagnons de hasard quelques moments de solidarité autour d’un feu de camp, sur fond de désert et de soleil couchant. Chloé Zhao ne romantise pourtant pas à l’excès cette vie de nomade. Elle l’interroge à travers le regard des amis et de la famille de Fran qui ne comprennent pas son entêtement à refuser le confort de la maison individuelle devenue au 20e siècle le symbole du rêve américain. Qu’est devenu ce rêve ? Qu’est-ce que l’Amérique a abandonné en chemin ? Quelle est la place de l’individu dans cette constellation ? Comment se retrouver face à soi-même ? Fran s’inquiète pour un jeune vagabond qui vit pourtant dans les mêmes conditions qu’elle et a choisi la liberté plutôt que l’amour de sa petite amie restée sédentaire et à qui il n’a plus grand-chose à dire. Il prélude à la rencontre de Fran avec Dave (David Strathairn, l’autre acteur professionnel du film) et le choix qu’elle devra faire. L’amour ou la route sans fin dans des paysages ancestraux. Nomadland est passionnant parce qu’il aborde sans jugement préconçu toutes ces questions touchant au cœur de la mythologie américaine en interrogeant au passage quelques poncifs du cinéma hollywoodien actuel (le couple, la famille, la réussite matérielle).


(c) Searchlight Pictures

A l’exception de l’exemplaire McDormand et de Strathairn, Chloé Zhao a recours ici comme à son habitude à des non professionnels qui jouent leur propre personnage ou des personnages inspirés par leurs expériences. Le film a coûté, selon les sources, entre quatre et six millions de dollars (c’est-à-dire pratiquement rien dans le contexte hollywoodien) et est en train de remporter toutes les principales récompenses jusqu’à l’Oscar pour lequel il part favori. Mais c’est à un autre tournant que l’on attend avec curiosité Chloé Zhao. Elle vient en effet de terminer Eternels, sa première production hollywoodienne, un film de superhéros produit par Marvel pour un budget de… 200 millions de dollars.

En France, Nomadland est actuellement annoncé pour le 21 avril. Le film sortira dans les salles luxembourgeoises ce mercredi, 24 mars 2021.

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