Quand je serai grand, je serai une fille

„Petite fille“ de Sébastien Lifshitz

Alors que son Adolescentes vient de remporter le César du meilleur film documentaire, un autre film de Sébastien Lifshitz sort sur nos écrans. Petite fille a été tourné pour arte et est passé sur la chaîne franco-allemande en décembre. Sa sortie subséquente au cinéma se justifie autant par l’intérêt du sujet et son actualité dans le débat de société que par ses réelles qualités cinématographiques.

(c) Agat Films & Cie

Ça commence presque comme un conte de fée. Une petite fille essaie des robes et des accessoires, se sourit, contente de ce qu’elle voit dans le miroir. Le public croit surprendre un moment d’une enfance normale. Sauf que non. La question que pose le film de Sébastien Lifshitz pourrait être résumée comme suit: comment traverser le miroir, comment devenir une petite fille quand on est né garçon, ou plutôt : comment faire comprendre et accepter par son entourage qu’on est une petite fille alors que l’on a le corps d’un garçon ?

Sasha a sept ans et s’est toujours vue en fille, malgré son zizi, malgré son acte de naissance. Sa mère Karine a d’abord cru à un caprice, elle a rectifié quand Sasha parlait d’elle au féminin et un jour, elle a déclaré à son fils qu’il ne pourra jamais être une fille. Elle a alors vu s’écrouler le monde de son enfant et elle a cherché de l’aide.

(c) Agat Films & Cie

Elle ne l’a pas trouvé à l’école où on lui a fait comprendre que c’était peut-être de sa faute, elle qui avait tellement voulu avoir une fille et avoue avoir été déçue à la naissance d’un fils. Elle a vu le médecin de famille, guère mieux informé, et elle a tenté les réseaux sociaux. C’est là que le réalisateur Sébastien Lifshitz a fait sa connaissance. Il était à la recherche d’un enfant trans après avoir tourné un film sur Bambi (Marie-Pierre Pruvot), célèbre meneuse de revue et l’une des premières femmes trans connues en France. Née en 1935, Bambi lui avait raconté qu’elle s’était sentie fille dès sa petite enfance. Lifshitz voulait filmer un enfant d’aujourd’hui, menant ce même combat dans une société qui a certes progressé… mais pas partout à la même vitesse.

❝Pourquoi est-ce que cela dérange tellement les gens que Sasha soit une fille, demande Karine et à bien y réfléchir, en effet, qu’y a-t-il de si terrible ?❞

L’école que fréquente Sasha refuse de l’accueillir en petite fille. La direction a tout aussi catégoriquement interdit à Lifshitz de tourner dans l’enceinte de l’école et a apparemment tout fait pour dissuader la famille de Sasha de participer au tournage. Au cours de danse, Sasha est le seul « garçon » au milieu d’une ribambelle de fillettes qu’elle regarde avec de grands yeux envieux. Grâce au réalisateur, la mère apprend alors l’existence, dans un hôpital parisien, d’une unité spécialisée dans l’accompagnement des enfants en dysphorie de genre (le terme médical pour décrire les personnes qui ne se sentent pas en adéquation avec leur sexe assigné). Une pédopsychiatre y prend en charge Sasha et ses parents qui dès lors voient un début de lumière au bout du tunnel. On leur certifie que ce n’est pas un caprice, que Sasha a tout à fait le droit de se vivre en fille tout comme elle aura le droit à l’adolescence de rester un garçon malgré tout, si elle le souhaite. Karine organise une rencontre avec la pédopsychiatre et l’école pour informer à la fois les enseignants et les parents d’élèves. A part quelques amis proches, personne ne vient.

(c) Agat Films & Cie

Un film sur la différence

Mais Sasha et sa famille se battent et Lifshitz filme ce combat avec une grande pudeur et une extrême sensibilité. On lui a reproché de n’avoir donné la parole qu’à Sasha, à sa famille et à ses amis, de ne pas avoir montré le contrepoint de ceux qui ont, paraît-il, de bons arguments pour interdire à Sasha d’être elle-même. Mais d’une part, ceci n’est pas un reportage, Lifshitz n’est pas là pour faire un « pour et contre ». Dès le titre, il se range entièrement et ouvertement du côté de Sasha et nous permet de nous mettre à la place de cette petite fille à qui la société est en train de voler son enfance. Pourquoi est-ce que cela dérange tellement les gens que Sasha soit une fille, demande Karine et à bien y réfléchir, en effet, qu’y a-t-il de si terrible ?

Sébastien Lifshitz a d’évidence gagné la confiance de Sasha et de sa famille, très unie autour d’elle. Il a pris le temps (un an) pour les suivre et a filmé comme on filme au cinéma : de belles images magnifiquement cadrées, que vient soutenir une musique de cinéma. Pour Sasha, l’affirmation de sa féminité passe essentiellement par des robes, la couleur rose et les poupées Barbie. Le réalisateur construit une grande partie de son film autour de cette symbolique.

(c) Agat Films & Cie

Il réussit– au-delà de l’histoire de Sasha – un film qui parle de transgenre mais pas seulement. C’est aussi plus généralement un film sur la différence, sur sa perception dans la société et notamment, en ce qui concerne l’école, l’incapacité encore trop fréquente de celle-ci de prendre en charge les enfants qui sortent de la norme d’une façon ou d’une autre.

Tout au long du film, on voit Sasha sortir peu à peu de son cocon. Et la petite fille, qui ne mettait des robes et des paillettes que seule devant son miroir, dans le secret de sa chambre, peut enfin prendre son envol.

Petite fille est actuellement à voir au cinéma.

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