Une femme très discrète

Becoming Mona de Sabine Lubbe Bakker & Niels van Koevorden

Deux films réalisées par des femmes sont en lice pour l’Oscar du meilleur film. Tous deux sont à l’affiche dans les salles luxembourgeoises. Mais ils ne doivent pas faire oublier le plus discret et pourtant tout aussi émouvant film belge Becoming Mona de Sabine Lubbe Bakker & Niels van Koevorden.

(Viviane Thill) Cette nuit sera couronné à Hollywood le « meilleur film » de 2020. Parmi les candidats en lice figurent deux beaux portraits de femme on ne peut plus dissemblables. L’original et subversif « rape revenge movie » Promising Young Woman (Emerald Fennell) avec Carey Mulligan dans le rôle-titre avait été présenté au Luxfilmfest et vient de sortir sur les écrans luxembourgeois. Le plus sobre et néanmoins puissant Nomadland (Chloé Zhao), interprété par Frances McDormand, avait fait l’ouverture du même Luxfilmfest et est depuis plusieurs semaines à l’affiche. Au moment de l’écriture de cet article, les résultats ne sont pas connus mais les deux films sont, quel que soit le gagnant cette nuit, à ne pas manquer !

(c) Submarine Film

Un troisième, tout aussi émouvant portrait de femme, risque de passer inaperçu derrière ces deux oeuvres d’ores et déjà très médiatisées. C’est que Becoming Mona du duo Sabine Lubbe Bakker & Niels van Koevorden, est aussi discret que son héroïne. Point ici de révélations choc comme dans Promising Young Woman ni de grands espaces mythiques comme dans Nomadland. Mona est une fillette puis une jeune femme qui, dans l’espoir de se faire aimer, essaie toujours de bien faire. Sage comme une image quand elle est petite et toute en douceur quand elle est plus âgée, Mona s’efface systématiquement devant les autres : sa belle-mère dépressive, son père un peu lâche, son frère plus entreprenant, son petit ami écrivain qui, eux, ne se préoccupent jamais des besoins et des envies de Mona. Mais ce rôle, qu’elle a si parfaitement intégré qu’il en devient un automatisme, de celle qui sans cesse réconforte, obéit, sourit, se soumet, devient de plus en plus un poids qui menace de l’écraser.

(c) Submarine Film

Sabine Lubbe Bakker & Niels van Koevorden s’étaient fait remarquer en 2013 avec Ne me quitte pas récompensé – entre autres trophées – par le prix du meilleur documentaire au Luxfilmfest. Ils y documentaient l’amitié improbable de deux paumés, l’un Wallon et l’autre Flamand, qui passaient l’essentiel du film à noyer leurs chagrins respectifs dans l’alcool. Pour son deuxième long métrage, le couple de cinéastes a opté pour une fiction adaptée du roman à succès Kom hier dat ik u kus de l’écrivaine flamande Griet Op de Beeck.

❝Seuls ses gestes et ses regards trahissent son malaise ou une opposition qu’elle renonce à formuler, croyant devoir se conformer à ce qu’on attend d’elle, ce qu’on a encore et toujours tendance à attendre de toutes les femmes: qu’elles soient douces, patientes, passives, dévouées.❞

La première image montre la petite Mona enfermée dans un lieu clos et semble nous conduire vers une histoire de maltraitance d’enfance. Mais cet enfermement est surtout psychologique. Le film analyse finement la mise en place de comportements qui finissent par emprisonner chacun dans son rôle et celui de Mona est d’être là pour les autres même si pour cela il lui faut ravaler son propre chagrin ou sa colère. N’existant plus pour ses proches que comme surface de projection pour leurs propres émotions, elle a le sentiment de ne pas exister du tout. La belle réussite du film et de ses deux actrices (Olivia Landuyt à 12 ans et Tanya Zabarylo à l’âge adulte) est d’avoir conféré une présence aussi forte à un personnage qui est par essence invisible aux yeux des autres.

(c) Submarine Film

Ne me quitte pas fonctionnait beaucoup sur les discussions entre les deux protagonistes. Mona est au contraire quelqu’un qui parle peu. Seuls ses gestes et ses regards trahissent son malaise ou une opposition qu’elle renonce à formuler, croyant devoir se conformer à ce qu’on attend d’elle, ce qu’on a encore et toujours tendance à attendre de toutes les femmes : qu’elles soient douces, patientes, passives, dévouées, discrètes. A sa façon, comme Cassandra (Carey Mulligan) dans Promising Young Woman, comme Fern (Frances MacDormand) dans Nomadland, Mona va finir par se rebeller contre cette injonction.

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