The Father de Florian Zeller

Signe des temps et du vieillissement de la population, le grand âge et, parmi ses corollaires, la démence, deviennent des sujets de plus en plus souvent traités au cinéma. Les maladies liées à la démence, en bouleversant les relations de la personne concernée avec ses proches (conjoint.e et/ou enfants), constituent – ce n’est pas un moindre atout au cinéma – un point de départ fertile pour toutes sortes de drames familiaux… et offrent au passage aux acteurs et actrices une occasion quasi irrésistible de montrer l’étendue de leur talent.

Pour rappel, voici quelques-uns des films les plus connus sur le sujet :

  • Iris (Richard Eyre, 2001) nomination aux Oscars pour Judi Dench
  • Se souvenir des belles choses (Zabou Breitman, 2002) César pour Isabelle Carré
  • Away From Her (Sarah Polley, 2006) nomination aux Oscars pour Julie Christie
  • Still Alice (Richard Glatzer et Wash Westmoreland, 2014) Oscar pour Julianne Moore
  • Honig im Kopf (Til Schweiger, 2014) avec Dieter Hallervorden
  • Floride (Philippe Le Guay, 2015) avec Jean Rochefort. Floride était déjà une adaption de la pièce Le père de Florian Zeller (qui n’a apparemment satisfait ce dernier).
  • Falling (Viggo Mortensen, 2020) avec Lance Henriksen. Le film est sorti trop tard pour concourir aux Oscars 2021. C’est un beau film, toujours à l’affiche au Luxembourg, qui met l’accent sur la difficulté de communication et la masculinité toxique.

On notera que ces films ont tous été tournés au 21e siècle. Parmi les rares précurseurs, on peut néanmoins citer On Golden Pond (Mark Rydell, 1981) qui a valu à l’époque un Oscar à Henry Fonda.

On peut imaginer que tout se passe dans la tête d’Anthony (c) F comme Film

The Father (récompensé par l’Oscar du meilleur scénario et du meilleur acteur) vient aujourd’hui compléter cette liste. C’est le premier long métrage de Florian Zeller, réputé pour être l’auteur français de théâtre le plus joué au monde. Il a ici adapté sa propre pièce intitulée Le père, créée en 2012 à Paris avec dans le rôle principal Robert Hirsch (à qui elle a valu un Molière). Depuis, elle est jouée dans le monde entier, raflant partout au passage des nominations et des prix pour l’auteur et ses interprètes.

Touche-à-tout, Zeller est également romancier, à l’occasion parolier de chanson (pour Christophe) et s’est essayé en tant que cinéaste avec un court métrage (en 2008) et un documentaire sur Jacques Chancel pour la télévision (en 2010). Pour la transposition sur grand écran de sa pièce, il a fait appel à son traducteur anglais habituel Christopher Hampton, lui-même dramaturge mais surtout scénariste expérimenté pour le cinéma. On se souvient notamment de sa magnifique adaptation des Liaisons dangereuses pour Stephen Frears (Dangerous Liaisons, 1988), qui lui avait valu un premier Oscar.

La musique de Purcell nous fait entrer dans le film sur les pas d’Anne marchant dans les rues de Londres (c) F comme Film

Les deux hommes ont pris le parti de ne pas « aérer » la pièce comme on le fait souvent au cinéma avec les pièces de théâtre mais – à l’exception de quelques plans – d’en faire un huis clos et de ce huis clos le symbole de la maladie. Car à l’opposé des films cités plus haut, The Father nous place du début à la fin du côté du protagoniste. On pourrait même défendre la thèse que le film tout entier se passe dans sa tête.

Anthony (Anthony Hopkins), un vieil homme passablement acariâtre et dont on devine qu’il avait l’habitude de contrôler son monde, voit débarquer dans son grand appartement sa fille Anne (Olivia Colman). Elle lui reproche d’avoir fait fuir une fois de plus l’aide-soignante qu’elle lui avait organisée et lui annonce qu’il va bien devoir accepter une aide faute de quoi elle sera obligée de le mettre dans une maison de retraite car elle va partir vivre à Paris avec son nouvel amant.

Le décor est un personnage à part entière (c) F comme Film

Dès les premières images, le décor est mis en scène comme un personnage à part entière. On sent que chaque meuble, chaque accessoire, chaque tache de couleur (le rouge, le jaune, le bleu) ont été sélectionnés et placés exactement à l’endroit choisi. Cette rigueur se répercute dans la musique de Purcell qui nous a fait entrer dans le film sur les pas d’Anne marchant dans les rues de Londres. Il y a quelque chose d’implacable dans le rythme de cet air (What Power Art Thou de l’opéra King Arthur) qui reflète à la fois la rigidité du personnage incarné par Anthony (on apprend qu’il était ingénieur ce qui laisse supposer un esprit rigoureux) et l’inexorabilité du destin qui l’attend. Car nous nous rendons très vite compte que la musique est celle d’Anthony. Il l’écoute dans son casque… suggérant que c’est elle qui a fait apparaître dans son esprit l’image d’Anne.

Après un premier face-à-face où l’on sent de la part d’Anne le désir sincère mais mal récompensé d’aider son père tandis que celui-ci fait preuve d’une mauvaise foi presque comique – il prétend que l’aide-soignante lui a volé sa montre avant de déclarer (après l’avoir retrouvée) que ce n’est que parce qu’il l’avait cachée qu’elle n’a pas pu la voler ! -, Anthony se retrouve seul dans sa cuisine où il entend des bruits étranges et découvre dans son appartement un homme inconnu qui prétend habiter là ! Sans que le public et Anthony ne s’en rendent d’abord compte, le décor a changé. C’est à la fois le même et un autre. De séquence en séquence, non seulement des personnages vont être joués par des acteurs différents alors qu’ils prétendent avoir toujours la même identité, mais l’appartement – aussi bien l’ameublement que l’aménagement des pièces – va se transformer imperceptiblement, se resserrer et virer de plus en plus vers une tonalité bleue et froide. Des événements vont se répéter, créant d’étranges sentiments de déjà-vu. Et alors que la lumière semble indiquer qu’on est dans l’après-midi, on apprend que c’est le matin, ou le soir.

Est-ce le même homme? (c) F comme Film

Par le seul moyen de la mise en scène, Florian Zeller non seulement arrive à nous désorienter aussi bien que son personnage, mais il rend perceptible le rétrécissement progressif de l’espace qui finit par se réduire à la chambre d’Anthony tandis que le temps se trouve littéralement annihilé après la disparition de tous les repères habituels, rejetant brutalement Anthony dans l’enfance.

„The Father s’avère être un film existentiel plutôt qu’un énième drame familial.“

En nous plaçant ainsi dans la tête d’un homme souffrant d’Alzheimer, Florian Zeller barre d’emblée la route aux bons sentiments qui, dans d’autres films, nous permettent de rester « du bon côté » de la maladie, du côté de celui ou de celle qui fait preuve de pitié pour la personne malade tout en se sachant (momentanément du moins) à l’abri. De plus, Zeller s’interdit le recours aux plus ou moins pathétiques déclarations d’amour conjugal ou filial souvent assénées avant le générique final. Le sentiment qui subsiste à la fin de The Father n’est pas celui d’une réconciliation avec la famille ou le sort, mais celui d’un immense vide intérieur.

The Father s’avère ainsi un film existentiel plutôt qu’un énième drame familial. Contrairement à ce que veulent laisser croire la publicité et certains articles à son sujet, il nous bouleverse non parce qu’il nous met face à un personnage qui perd peu à peu toute notion de sa propre identité mais parce qu’il arrive à nous faire nous imaginer à sa place. La performance à vif d’Anthony Hopkins (soutenu notamment par Olivia Colman), passant sans filet et sans crier gare d’une émotion à une autre mais dénuée de tout le cabotinage qui tente souvent les interprètes dans ce genre de rôle, y est pour beaucoup et en ce sens, il l’a bien mérité, son Oscar!

The Father est actuellement à l’affiche des cinémas luxembourgeois.

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