„Petite maman“ de Céline Sciamma
Avec Petite maman (en compétition à la Berlinale 2021), la réalisatrice française Céline Sciamma va surprendre et sans doute désarçonner ses admiratrices et admirateurs qui l’ont découverte grâce à Portrait de la jeune fille en feu (Prix du scénario à Cannes 2019) Car après la trame en apparence (mais en apparence seulement) classique de Portrait, Sciamma propose ici un film étrange, totalement inattendu, aux confins du fantastique dont il n’épouse cependant pas les codes. Elle y raconte la rencontre improbable entre deux petites filles, Marion et Nelly, huit ans toutes les deux. Et si leur amitié est improbable, c’est parce que l’une est la mère de l’autre !

Petite maman est, comme Portrait de la jeune fille en feu, et comme Tomboy (2011) qui avait déjà pour protagoniste une fillette, l’histoire d’une parenthèse. Dans Portrait, deux jeunes femmes vivaient un amour passionnel sur une île sans hommes, pendant l’absence de la mère de l’une d’entre elles. Dans Tomboy, Laure devenait Michaël le temps d’un été. Dans Petite maman, Nelly (Joséphine Sanz) est confrontée à une mère (Nina Meurisse) aimante mais rongée par la mélancolie, rendue encore plus triste par le décès récent de sa propre mère, cette grand-mère que Nelly aimait énormément et à laquelle elle a l’impression de n’avoir pas pu dire au revoir.
Dès les premiers plans, le film est placé sous le signe de la séparation et du deuil. Avec ses parents, Nelly se rend dans la maison de la grand-mère pour la vider. C’est une maison dans les bois, comme dans un conte de fées, laissée en l’état après le départ de la grand-mère et dans laquelle Nelly occupe maintenant la chambre d’enfance de sa mère Marion. Le père (Stéphane Varupenne), bien que sur place, est absent dans cette partie du film et dans la nuit durant laquelle la mère et la fille rejouent l’adieu impossible à la grand-mère. Le lendemain, le père annonce à Nelly que sa mère est « partie » sans donner d’autre explication.
Quand Nelly joue avec un jokari qui a jadis appartenu à la mère, l’élastique se rompt et la balle va se perdre dans la forêt. Nelly la suit et ce faisant, comme Jonathan traversant le pont dans Nosferatu, entre dans un autre monde dans lequel un fantôme va venir sa rencontre. Le fantôme de sa mère petite fille (Gabrielle Sanz) avec laquelle elle se lie d’amitié.

L’idée est originale mais Céline Sciamma ne l’exploite pas pour ses effets spectaculaires ou les possibilités de suspens ou de jeux avec les anachronismes. Ce qu’offre en revanche cette rencontre inattendue est la possibilité d’une complicité inédite entre la mère et la fille (interprétées par deux sœurs comme si Nelly ne pouvait concevoir sa mère autrement qu’à son image) ce qui permet à Nelly d’imaginer l’enfance de sa mère et de sonder sa tristesse. Car ses parents ne lui ont jamais parlé des « vrais trucs » de quand ils étaient petits, de leurs peurs, de la maladie de la grand-mère et de l’opération que la mère a subie à neuf ans. Nous n’en saurons d’ailleurs pas beaucoup plus, mais ce que rend possible cette parenthèse de quelques jours, durant lesquelles sa mère est absente et Nelly a peur qu’elle ne revienne pas, c’est une confrontation avec son histoire familiale, ses propres peurs et ses questionnements sur la vie et la mort. Elle lui permettra aussi de dire cet au revoir manqué qu’au début du film, comme un ersatz, elle avait dit à toutes les habitantes de la maison de retraite mais n’avait pas pu dire à sa grand-mère.

❝Dans « au revoir », il y a « voir » et c’est précisément à voir à nouveau, à voir autrement, à revoir ce que nous croyions connaître, que nous invite Céline Sciamma.❞
Récit également sur la transmission (la grand-mère s’appelait également Nelly) et la relation fantasmée qu’une fillette tisse avec sa mère, même – ou justement – en l’absence de celle-ci, Petite maman est par ailleurs un film sur la magie du cinéma. Une ellipse devient une « téléportation », un simple changement de plan permet de se retrouver dans le passé, un bout de décor suffit à suggérer une maison dédoublée, les fillettes s’adonnent à un jeu de rôles (et Nelly comme Laure dans Tomboy en profite pour prendre celui d’un homme) et l’ombre portée de quelques arbres prend des allures de panthère noire sur le mur d’une chambre d’enfant. Le théâtre d’ombres était la première manifestation du cinéma, comme nous le rappela il y a déjà 30 ans Bram Stoker’s Dracula de Coppola (1992), autre film de fantômes. Tout devient dès lors affaire de cadrage, de découpage, de montage et donc de mise en scène mais aussi d’imagination puisque non seulement le film fait fi des habituels effets spéciaux mais Nelly se réinvente sans l’aide d’une quelconque virtualité.
A la fois œuvre modeste (elle ne dure que 70 minutes) et d’une folle ambition, Petite maman peut dérouter un public habitué à davantage de sentimentalité dès qu’il est question de deuil familial et de relations parents-enfants . Mais dans « au revoir », il y a aussi « voir » et c’est précisément à voir à nouveau, à voir autrement, à revoir ce que nous croyions connaître, que nous invite Céline Sciamma.
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