De la cour de récréation aux rapports de force politiques et économiques, le monde que nous avons construit est sans pitié. Quelques-uns des films les plus intéressants à Cannes sont ceux qui sondent et questionnent cette violence à l’oeuvre dans la société.

Portrait d’une jeune femme sans originalité
Joachim Trier est un cinéaste hanté par la mort. Oslo, 31 août, présenté en sélection officielle dans la section Un certain regard en 2011, racontait la dernière journée d’un homme qui a décidé de se suicider. Louder Than Bombs, en compétition pour la Palme d’Or 2015, tournait autour d’une reporter de guerre et d’un accident tragique. Dans The Worst Person in the World – traduit en français par Julie (en 12 chapitres) –, en compétition cette année, il y a également un personnage qui meurt mais le film est surtout le portrait de Julie (Renate Reinsve) qui hésite entre plusieurs métiers et plusieurs amants en cherchant sa voie. Au début, c’est drôle, on pense à Woody Allen, et puis c’est moins drôle et surtout très long quand elle passe d’un auteur de BD à succès à un barman, ne veut pas avoir d’enfant et puis n’en est plus si sure, fait un mauvais trip aux champignons et rend visite à ses parents.

C’est aussi un portrait de femme (jeune évidemment) qui s’affiche comme féministe (mais pas trop) en parlant de règles et de plaisir féminin comme une case qu’on se doit de cocher. On a vu cela des centaines de fois et Joachim Trier n’apporte aucune idée originale.Thierry Frémaux, qui jure qu’il ne tient compte que de la qualité des oeuvres et pas du nom ou du genre des cinéastes quand il fait sa sélection, aurait gagné à le remplacer en compétition par le premier long métrage de la cinéaste belge Laura Wandel, reléguée dans la sélection Un certain regard.
La cour de recréation, un monde à part
Un monde de Laura Wendel surprend en suivant dès les premiers plans une gamine de six ou sept ans, en pleurs. Nora (Maya Vanderbeque) a très peur d’entrer à l’école mais son frère Abel (Günter Duret), à peine plus âgé qu’elle, promet de la protéger. Or, c’est lui qui va devenir la cible de trois garçons plus âgés. Alors qu’elle vient tout juste de se faire des amies, Nora se retrouve coincée entre son frère, ses copines et son père qui ne se doute d’abord de rien. Cherchant en vain de l’aide auprès des adultes, elle va devoir faire des choix lourds à porter pour une petite fille.

Ce n’est pas un film belge par hasard, on pense aux frères Dardenne à cause de la manière dont la caméra de Wandel traque sa jeune protagoniste, restant toujours à sa hauteur et tout près d’elle. La personnalité de Nora, à la fois renfermée et déterminée, peu portée aux sourires, ainsi que le dilemme moral dans lequel elle va se retrouver, dénotent tout aussi évidemment l’influence des Dardenne. Mais ce qu’en fait Laura Wandel est assez unique : un film qui se passe de façon crédible dans le monde des enfants, séparé et déconnecté de celui des adultes dont on ne voit le visage que quand ils s’adressent directement aux mômes. Et pour ceux qui l’auraient oublié : la cour de récréation est un monde bruyant et sans pitié dans lequel s’installent des rapports de force invisibles pour les adultes mais traumatisants pour ceux qui en sont – souvent sans raison apparente – les victimes.
Le cinéma de l’enfance est un genre à part dans lequel se sont illustrés quelques grands cinéastes (François Truffaut, Claude Miller, Jacques Doillon ou plus récemment Céline Sciamma). Avec ce premier film, Laura Wandel les rejoint en faisant une belle entrée à Cannes.
En urgence

L’une des rares (quatre !) réalisatrices ayant retenu l’attention de Frémaux est Catherine Corsini, dont le film La fracture a donc les honneurs de la compétition. Cette fracture est bien évidemment symbolique, c’est celle que subit Raf (Valeria Bruni Tedeschi) en courant après son amante Julie (Marina Foïs) qui vient de lui annoncer qu’elle la quitte, mais aussi celle qui divise la société française entre nantis d’un côté et laissés-pour-compte de l’autre. Le routier Yann (Pio Marmai), un Gilet jaune gravement blessé à la jambe par une grenade lors d’une manifestation qui a viré à la bataille rangée, arrive aux urgences en même temps que Raf. L’hôpital qui les accueille, en grève depuis des semaines, est surchargé et fait face à un manque criant de moyens et de personnel. La salle d’attente se remplit et la tension monte à l’extérieur et à l’intérieur. Cette triple situation de crise donne lieu à un film engagé et survolté.
Comme la série ER, modèle du genre, il se sert de la fiction pour dénoncer une série de dysfonctionnements. Certes, ce n’est pas non plus d’une originalité folle, mais c’est bien écrit, bien joué et mis en scène avec brio. Et il s’interroge et nous interroge sur la société, ici et maintenant. Un film à voir en urgence.
S’il n’y a pas de bande-annonce à la fin de cet article, c’est que ni les producteurs de La fracture ni ceux de Un monde n’ont cru nécessaire de mettre à disposition de la presse ce genre de matériel. De façon générale, le cinéma français et francophone traite le matériel publicitaire comme s’il s’agissait d’un secret d’Etat. Il ne faut pas s’étonner dès lors que ce sont les photos et les bandes-annonces de films américains que l’on retrouve le plus souvent sur internet et les réseaux sociaux.
Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.
Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!
