Il est davantage question du Covid que de cinéma à Cannes cette année où même les films parlent de virus et de confinement/séquestration. Et nous forcent certains jours à un grand écart entre des oeuvres très différentes.

Drôle de festival où le sujet numéro un des conversations ne sont pas les films mais le coronavirus. Masque ou pas masque, certificat de vaccination et tests : ils sont obligatoires et très contrôlés dans certains lieux mais pas dans d’autres, sans logique apparente. La ministre française de la culture Roselyne Bachelot appelle à la responsabilité collective mais embrasse Spike Lee sur les marches. A la cérémonie d’ouverture, la plupart des invités arboraient un visage démasqué. Depuis quelques jours, le mot « cluster » circule, énergiquement réfuté par le délégué général Thierry Frémaux qui assure qu’il n’y a pas plus de trois tests positifs par jour. Mais les rumeurs enflent au Marché du Film quasi déserté cette année. Le président Pierre Lescure s’est fendu en personne d’un message dorénavant diffusé devant chaque film en rappelant aux festivaliers qu’ils doivent « impérativement » garder leur masque durant toute la séance.
Effet inattendu de la crise sanitaire, les confinements qu’on a tous connus éclairent d’un jour nouveau certains films. Les enfants du monde entier ressentiront-ils un peu autrement l’enfermement d’Anne Frank, cachée deux ans durant dans une annexe dissimulée derrière le bureau de son père ? Le réalisateur israélien a adapté en film d’animation l’histoire de la jeune fille et de son journal, en tentant de la faire descendre de son piédestal pour nous rappeler qui elle était : une jeune fille espiègle avec tous les défauts, les qualités, les problèmes et l’idéalisme propres à l’adolescence. Plutôt que d’aduler un journal devenu trésor national aux Pays-Bas (juste après Rembrandt !), il nous invite à revenir à l’esprit du texte et à remplacer la dévotion par une réflexion sur ce qu’il a encore à nous dire aujourd’hui.

Pour cela, il fait littéralement revivre dans Where is Anne (sans point d’interrogation; présenté hors compétition) le journal, personnifié par Kitty, l’amie imaginaire à laquelle Anne se confiait. Kitty réapparaît aujourd’hui et cherche Anne dans l’Amsterdam du 21e siècle. Elle y fait la rencontre d’un jeune pickpocket qui profite à sa façon du véritable culte engendrée par le livre en délestant de leurs portefeuilles les touristes au Musée Anne Frank. Mais le soir venu, Peter aide les réfugiés qui squattent un immeuble non loin de là.
Coproduit au Luxembourg par Samsa Film en la personne de Jani Thiltges qui en est aussi le producteur principal, le film s’adresse aux enfants et jeunes adolescents et utilise pour cela très adroitement les conventions du dessin animé. Il y a même des courses poursuite et des chansons. Alors que l’esthétique générale reste assez conventionnelle, les nazis et les camps sont imaginés comme les enfers grecs, une façon à la fois puissante et symbolique d’évoquer les camps d’extermination et la mort d’Anne. Ari Folmann n’a pas voulu épargner cette fin à son jeune public qu’il confronte à des questions très actuelles telles que l’antisémitisme, les réfugiés, la montée en puissance d’un nouveau fascisme. Kitty n’interrompt pas par hasard une adaptation théâtrale du journal devant laquelle s’ennuient des élèves en fixant leur portable. Dans cette séquence, Where is Anne Frank se positionne clairement comme un renouvellement destiné à refaire d’Anne Frank le modèle qu’elle a été. Le film sera d’ailleurs accompagné d’un programme pédagogique mis en place par le Fonds Anne Frank (fondé par le père d’Anne), également à l’origine du projet.
Sainte ou mystificatrice?

De confinement, il est question encore plus directement dans un autre film d’un tout autre genre. Après y avoir présenté en 2016 le formidable Elle, Paul Verhoeven est de retour en compétition avec Benedetta. Le pitch ne manque pas de piquant : au début du 17e siècle, une nonne mystique et lesbienne est emprisonnée à vie après un procès durant lequel une novice l’accuse de l’avoir abusée sexuellement. A l’arrivée, on n’est pas sûr de ce qu’a voulu faire Paul Verhoeven. Une satire du mysticisme, une célébration des plaisirs charnels, un plaidoyer pour la fusion du corps et de l’esprit, une critique féministe du catholicisme, un questionnement sur la spiritualité, une renaissance du « nunsploitation » [1], ou tout cela à la fois ?
Virginie Efira interprète avec aplomb cette nonne arrivée au couvent alors qu’elle était enfant et persuadée que la Vierge et Jésus, son « époux », sont à son écoute. Ses visions sont traduites dans des images d’un kitsch parfaitement assumé et semblent la contenter jusqu’au jour où la jeune Bartolomea (Daphné Patakia) demande refuge au couvent. Elle y est acceptée contre espèces sonnantes et trébuchantes car le cloître n’est quand même pas un foyer de charité, comme le déclare la mère supérieure incarnée par Charlotte Rampling. Mais un trouble naît entre les deux jeunes femmes auxquelles elles ne vont pas résister longtemps. Benedetta découvre qu’il n’y a pas que Jésus pour lui donner du plaisir. Vierge, elle ne semble pas saigner à l’endroit qu’on pourrait supposer après son premier rapport (qui a lieu à l’aide d’un godemichet improvisé et néanmoins lourdement symbolique !) mais des pieds et des mains comme le Seigneur. S’inflige-t-elle elle-même ces stigmates ou est-elle une sainte ?

Verhoeven ne tranchera jamais, pas plus semble-t-il que Virginie Efira qui joue toutes les situations de façon directe et résolument moderne, ce qui la rend paradoxalement assez énigmatique. En même temps que la sexualité, elle se découvre un appétit de pouvoir jusque-là peu manifesté, les deux étant peut-être liés. Elle prend d’abord la place de la mère supérieure et ensuite des décisions politiques avisées comme de fermer hermétiquement la ville alors qu’une épidémie de peste ravage la région. Jésus lui a certes promis d’épargner la population locale mais cela n’empêche pas de prendre quelques précautions.
S’il y a bien l’un ou l’autre élément intéressant, le film part dans tous les sens et se complaît dans un voyeurisme qu’on suppose ironique: séquences lesbiennes à répétition, femmes nues hurlantes qu’on s’apprête à torturer, on dans le pulp et pas si loin que cela du porno soft, ce qui n’étonnera pas de la part de Verhoeven. Peut-être se défoule-t-il tout simplement après la relative sobriété de Elle. On n’est cependant plus à l’époque où le Vatican condamnait The Devils (Ken Russell, 1971). L’étalage des corps nus et des fluides de toutes sortes qui s’en échappent ne choquent plus grand monde, du moins dans le monde occidental. Verhoeven a beau s’en donner à cœur joie, en remettre une louche à chaque séquence, et Lambert Wilson camper un nonce délicieusement détestable, le film déçoit par rapport au pitch et des attentes suscitées.
[1] Genre assez hétéroclite qui va de la critique sérieuse du catholicisme jusqu’à la mise en scène sadique du corps des femmes. On peut citer Mère Jeanne des Anges (Jerzy Kawalerowicz, 1961), The Devils (Ken Russell, 1971), School of the Holy Beast (Norifumi Susuki, 1974), Die Liebesbriefe einer portugiesischen Nonne (Jess Franco, 1977).
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