Cannes – Jour 6 : On the Road Again

Après le confinement, voici revenu le temps de la liberté et des voyages. Coup sur coup, trois films en compétition nous emmènent sur la route. Mais celle-ci se révèle parfois longue.

Flag Day (c) 2021 Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc.

Après son pathétique Last Face, hué par la presse en 2016, il fallait à Sean Penn une bonne dose de courage – ou d’inconscience – pour revenir en compétition. Et alors que le titre Flag Day pouvait faire craindre un discours sur la démocratie états-unienne façon Clint Eastwood, il s’agit en fait d’un projet beaucoup plus modeste et plutôt touchant : l’histoire de la relation difficile entre un homme qui se perd en courant après le rêve américain, et sa fille qui doit trouver son propre chemin entre une mère dépressive et ce père imprévisible et sur la route la plupart du temps mais qui apporte dans sa vie un vent de folie et de liberté. Sean Penn et sa fille Dylan Frances Penn (qu’il a eue avec Robin Wright) interprètent les rôles principaux de cette histoire vraie dont on peut imaginer qu’elle recèle quelques parallèles avec la vie réelle des Penn père et fille. La pellicule 16mm confère au film un grain très particulier qui induit de la nostalgie et de la douceur dans une histoire familiale dont le réalisateur a choisi de ne pas accentuer ni dramatiser la violence inhérente. C’est mélancolique, parfois poignant, assez longuet tout de même, et trop mince pour la compétition à Cannes.

Voyager ensemble

Compartiment no.6 (c) 2021 Sami Kuokkanen Film Company

Voyager ensemble, c’est aussi se découvrir l’un l’autre. C’est le cas pour la Finlandaise Laura (Seidi Haarla) qui couvre la très longue distance (près de 2000 km) de Moscou à Mourmansk dans un compartiment de train qu’elle partage avec un jeune ouvrier russe (Yuriy Burisov) qui boit beaucoup et la drague lourdement, et qu’elle tente d’abord de fuir. Ce pourrait être une comédie romantique à la russe : brute, un peu crade, sans romance et sans élément comique. Mais ce qui intéresse le réalisateur Juho Kuosmanen dans Compartiment no. 6, c’est moins la naissance d’un sentiment amoureux que la façon dont les deux protagonistes apprennent peu à peu à s’apprécier au-delà des clichés. Le film est situé à la fin des années 1990 quand les portables n’existaient pas et quand prendre la route signifiait véritablement couper les ponts, au moins momentanément, pour aller vers l’inconnu, sans Whatsapp, sans GPS et sans Tripadvisor. Kuosmanen joue ainsi lui aussi avec une certaine nostalgie, plus sombre que celle de Sean Penn, et nous promène entre l’exiguïté enfumée du train et les grands espaces de la côte mourmane, ce qui nous change des plaines américaines.

❝Le Festival a décidé de réduire son empreinte carbone.❞

Cliché pour cliché : la chaleur humaine et l’exubérance des peuples slaves versus la retenue japonaise. Dans Drive My Car de Ryusuke Hamaguchi, une femme fait l’amour à son mari et lui raconte une étrange histoire d’écolière qui s’introduit en cachette dans la chambre du garçon qu’elle aime. Puis la femme trompe son mari et il fait semblant de ne rien remarquer et puis elle meurt et le mari Yusuke Kafuku (Hidetoshi Nishijima), metteur en scène et acteur, roule dans sa voiture où il dialogue avec une cassette sur laquelle sa femme décédée a enregistré toutes les répliques d’Oncle Vania, pour le faire répéter. Le générique défile 40 minutes après le début du film et deux ans après ce prologue intrigant, quand Yusuke se rend à un festival de théâtre à Hiroshima où on lui laisse sa voiture mais on lui assigne, pour des raisons d’assurance, une conductrice, Misaki (Miura Toko), discrète et parfaite. Entre le metteur en scène et la jeune femme va se former, au cours de beaucoup de trajets en voiture, un lien fait de silences, de phrases polies et de confidences abruptes.

Drive My Car Tous droits réservés

Adapté d’une nouvelle dans le recueil Des hommes sans femmes de Haruki Murakami, cette lente (2h59) réflexion sur l’âme humaine et le pouvoir des mots est très subtile, très écrite, très esthétique, très finement observée. Les critiques sont dithyrambiques mais on peut trouver le temps long dans ces pérégrinations, discussions et répétitions sans fin.

A mi-parcours, ce drôle de festival fourmille ainsi de bons, voire de très bons films, mais qui ne nous surprennent guère, à l’exception de l’israélien Ha’berech, loin d’être une oeuvre parfaite mais qui bouscule et interroge au moins son public. Et surtout, aucun de ces films ne s’intéresse de près ou de loin aux défis qui nous attendent, la crise climatique et le déclin de la biodiversité. Seul The Worst Person in the World mentionne le sujet mais pour se moquer d’une assez bête façon des militants. Les organisateurs en sont conscients puisqu’ils ont créé une section (éphémère est-il précisé) de films sur l’environnement où l’on retrouve entre autres le nouveau documentaire de Cyril Dion (co-auteur de Demain) intitulé Animal. C’est une façon de reléguer ce sujet dans un coin du festival, faute de mieux puisque les auteurs « sérieux » ne semblent pas s’y intéresser.

Le cinéma pour le climat

Le Festival lui-même a décidé de réduire son empreinte carbone, de façon plutôt symbolique il est vrai, en dématérialisant le matériel publicitaire et la billetterie, en faisant payer 20 euros à chaque participant pour compenser l’empreinte carbone des voyages, en divisant par deux le nombre de fois où est changé le tapis rouge et en permettant enfin aux festivaliers d’amener des gourdes dans les salles et donc de réduire les bouteilles d’eau en plastique. Mais il n’est sans doute pas de la compétence du Festival d’interdire l’hélicoptère qui survole toute la journée la ville pour la faire découvrir aux touristes (ce qui ne coûte « que » 85 euros pour 12 minutes de vol) ou emmener les plus fortunés vers d’autres destinations. Cet engin pollue l’air, fait du bruit et transforme en passant chaque séance dans la salle du Soixantième (située sur le toit du Palais) en réminiscence d’Apocalypse Now.

Drive my Car – extrait

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