Un nombre considérable de films présentés à Cannes tournent autour du corps et du sexe, comme pour répondre à la fois à la virtualisation des échanges amoureux, la distanciation sociale et physique et l’évolution des codes amoureux après le mouvement MeToo.
Après Tangerine (2015) et The Florida Project présenté en 2018 à la Quinzaine des Réalisateurs, le réalisateur américain Sean Baker revient cette fois en compétition avec Red Rocket. Et comme dans les deux films précédents, il y peint sans misérabilisme l’Amérique des laissés-pour-compte en choisissant cette fois une petite ville industrielle au Texas dans laquelle revient un beau jour Mikey, ancienne star du porno maintenant sans le sou, à la recherche d’un toit qu’il espère trouver chez son ex, et d’un bon plan pour se refaire des sous.

Interprété par Simon Rex, qui a lui-même débuté dans le porno gay, Mikey ressemble beaucoup au personnage interprété par Sean Penn dans Flag Day: un « hustler » narcissique mais charmant, qui finit par mettre tout le monde dans la merde. Mikey se met en tête de séduire une jeune fille mineure et apparemment naïve pour l’entraîner dans l’industrie du porno et devenir son proxénète… comme il l’avait déjà fait avec sa femme. Mais cette fois, le macho sympa tombe sur plus forte(s) que lui : son ex qui ne s’en laisse plus compter, la jolie Strawberry qui n’a décidément rien d’une oie blanche, et la dealeuse du coin résolument épaulée par sa fille. Tourné sur fond de raffineries pétrolières, durant l’été précédant l’élection de Donald Trump, le film marque la fin d’une époque et celle du traditionnel héros américain.
La femme et le mystère de la vie

Question sexe, Sean Baker ne tourne pas autour du pot. Il le filme frontalement et sans se cacher derrière les grands sentiments : chacun des partenaires cherche dans l’acte physique un plaisir immédiat et ne s’en cache pas. Alors que dans L’histoire de ma femme, tout est au contraire très feutré et le sexe ne s’envisage qu’accompagné de grande musique. La femme devient un symbole du mystère de la vie et le sexe un jeu de pouvoir. Au début du film, des baleines – corps massifs mais invisibles – nagent sous l’eau alors que le capitaine Störr (Gijs Naber) navigue par-dessus. Un jour, il fait le pari d’épouser la première femme qui entrera dans le restaurant portuaire où il est en train de manger. Ce sera Lizzy (Léa Seydoux), une femme visiblement à l’aise dans la haute société des années 1920, qui accepte sa curieuse proposition et mènera ensuite par le bout du nez le capitaine un peu fruste. Tout cela est magnifiquement filmé (à grands renforts de reflets et de cadres dans le cadre) dans des décors somptueux avec des acteurs très chics (Seydoux, Louis Garrel), mais reste assez vain. Le capitaine soupçonne bientôt sa femme de le tromper. Or, on s’en fiche un peu et même, on n’est pas loin de la comprendre, il est tellement ennuyeux ! Comme on ne voit la femme que par le « male gaze » pas très perspicace du capitaine, on ne saura rien d’elle. L’histoire de ma femme dure près de trois heures, n’avance qu’à petits pas et ne bouscule – contrairement à Red Rocket – aucun code du genre (dans les deux sens du mot).

Léa Seydoux joue un personnage plus facilement déchiffrable dans France de Bruno Dumont, l’un des rares cinéastes à se renouveler radicalement à intervalles réguliers. Elle est la journaliste France De Meurs (on pourra longuement gloser sur ce nom funeste), présentatrice d’une émission très regardée pour laquelle elle joue volontiers au reporter de guerre façon BHL. Son appartement ressemble à un mausolée dans lequel son jeune fils est un élément de décoration parmi d’autres. La première séquence, très drôle, met France face à Macron. Disons que le président ne s’en sort pas trop bien mais France et son assistante Lou (Blanche Gardin) démontrent aussi dans cette séquence leur abyssal égocentrisme et cynisme. De fait, ils sont du même côté : de celui de cette France d’en haut qui a perdu tout contact avec celle qui se lève tôt et ne s’habille pas chez Dior. France est une satire cruelle sur le narcissisme de notre époque, la dégénérescence de certains médias dits d’information et le culte abrutissant de la célébrité. Présenter ce film à Cannes, l’un des hauts lieux de la mise en scène de l’idolâtrie des « people », est un paradoxe qui doit réjouir son réalisateur Bruno Dumont. Il semble aussi prendre un malin plaisir à détruire de l’intérieur l’image de sa célèbre actrice, allant jusqu’à la défigurer dans son objectif lors d’un long gros plan. Le film paraît néanmoins inabouti par moments, un peu répétitif et assez appuyé. Mais les œuvres de Dumont, même si on ne les aime pas tout de suite, vous restent généralement dans la tête. A voir donc si le souvenir de celui-ci se bonifiera avec le temps.
Comédie sentimentale
Revenons au sexe. Dans Les Olympiades, Jacques Audiard (Palme d’Or pour Dheepan en 2015) nous entraîne dans ce XIIIe arrondissement qui semble ces derniers temps attirer les cinéastes. Tous deux sélectionnés pour Cannes 2020 mais sortis il y a quelques semaines, Ibrahim et Médecin de nuit le prenaient également pour décor. Audiard installe plus précisément sa caméra dans un endroit composé de plusieurs dizaines de tours, construit dans les années 1970 et qui fait partie du quartier chinois de Paris.

Emily (Lucie Zhang) aime Camille (Makita Samba) qui aime Nora (Noémie Merlant) qui s’intéresse à Amber (Jehnny Beth). C’est une comédie sentimentale sur une génération née peu avant l’an 2000, qui cherche ses repères professionnels et reformule les codes amoureux. « Vous ne m’avez jamais fait la cour » dit l’épouse à son capitaine dans L’histoire de ma femme. Aujourd’hui, on couche d’abord et pour ce qui est de faire la cour ou de tomber amoureux, on verra ensuite. Mais les errements, le mal d’amour et le besoin de trouver une âme sœur ne changent pas. Interprété par un très beau quatuor d’acteurs encore peu connus, fort bien écrit (entre autres par Céline Sciamma), tourné dans un magnifique noir et blanc qui donne au film une tonalité intemporelle, Les Olympiades charme par la sophistication de sa mise en scène et l’esprit des dialogues et constitue un témoignage apaisé, touchant et drôle sur la société telle qu’elle est en train de se réinventer.
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