Parmi les milliers d’Afghans et d’Afghanes qui essaient actuellement de fuir leur pays se trouve la cinéaste Shahrbanoo Sadat. Le 17 août, elle était en contact avec le Hollywood Reporter et indiquait qu’elle tentait de rejoindre l’aéroport de Kaboul avec sa famille. Depuis, la presse internationale n’a plus donné de ses nouvelles. Ses deux longs métrages, en ligne sur plateforme sooner.lu, nous font découvrir l’Afghanistan de l’intérieur.
Mise à jour (23 août 2021): La productrice danoise de Shahrbanoo Sadat vient d’annoncer que la réalisatrice a pu fuir l’Afghanistan avec sa famille et se trouve en route vers l’Europe.
En tant que femme indépendante, cinéaste et issue de la minorité chiite hazara, Shahrbanoo Sadat représente tout ce que les Taliban voudraient éradiquer. Je l’ai rencontrée en 2019 au Festival de Cannes où elle était venue présenter son deuxième long métrage L’orphelinat. Elle ne ressemblait en rien à l’idée que l’on peut se faire d’une femme afghane: je me souviens qu’elle était en short et arborait un tee-shirt déclarant « Peace with Taliban = War on Afghan Women ». Alors qu’elle n’avait à l’époque que 29 ans, la jeune cinéaste était impressionnante par sa détermination, sa liberté de parole et l’engagement avec lequel elle parlait de ses projets et de son pays.

Un pays qu’elle n’a connu qu’à l’âge de 11 ans car ses parents avaient fui l’Afghanistan pour se réfugier en Iran chiite. Elle est donc née en 1990 à Téhéran et y a vécu jusqu’à ce que son père décide en 2001 de revenir dans son village natal en Afghanistan, un lieu perdu au milieu des montagnes qu’elle décrit dans son premier long métrage Wolf and Sheep. Parlant avec un accent iranien, complètement déphasée et isolée dans ce lieu sans électricité ni lien avec l’extérieur, elle devait faire six heures de route chaque jour pour aller à l’école. Plus tard, elle a rusé pour pouvoir s’inscrire à l’université à Kaboul mais c’est aux Ateliers Varan – un réseau international de formation au cinéma documentaire – qu’elle découvre véritablement le cinéma. Elle décide alors de devenir cinéaste et envoie, à tout juste 19 ans, une candidature à la Cinéfondation du Festival de Cannes, dédiée à la recherche de nouveaux talents. C’est là qu’elle développe Wolf and Sheep, présenté en 2016 à la Quinzaine des Réalisateurs où il remporte le premier prix. Trois ans plus tard, L’Orphelinat est également sélectionné à la Quinzaine.
❝La jeune cinéaste se révèle en fine observatrice d’une culture qu’elle décrit et analyse sans l’idéaliser ni la caricaturer, en s’intéressant notamment aux structures de pouvoir et aux relations hommes-femmes.❞

Shahrbanoo Sadat a créé sa propre maison de production en Afghanistan mais ses financements sont, par la force des choses, internationaux. Au Luxembourg, Samsa Film a d’ailleurs collaboré à la production de L’Orphelinat dans le cadre des projets Cineworld du Filmfund. Pour des raisons de sécurité, ses deux longs métrages ont dû être tournés au Tadjikistan mais ce qui intéresse la cinéaste, c’est de présenter de l’Afghanistan une autre image que le pays en guerre et les femmes voilées qu’on voit dans les médias. La jeune cinéaste se révèle en fine observatrice d’une culture qu’elle décrit et analyse sans l’idéaliser ni la caricaturer, en s’intéressant notamment aux structures de pouvoir et aux relations hommes-femmes. Après Wolf and Sheep et L’Orphelinat, elle commence à travailler à une comédie romantique dont la protagoniste devait être une camerawoman. Un projet balayé par le retour des Taliban au pouvoir. Shahrbanoo Sadat a déclaré au Hollywood Reporter que, si elle s’en sort, elle réalisera des films sur ce qui est en train d’arriver en Afghanistan.
Wolf and Sheep
Dans une vallée aride, qui semble hors du monde et du temps, des enfants gardent les chèvres et les moutons. Quand le film commence, le père du jeune Qodrat (Qodratolla Qadiri) vient de mourir d’un cancer et sa mère va se remarier avec un homme plus âgé. Alors que filles et garçons ne se mélangent d’habitude pas, Qodrat se lie d’amitié avec Sediqa (Sediqa Rasuli), une petite bergère de son âge rejetée par les autres fillettes qui racontent que sa grand-mère était possédée par un esprit.
Tout en documentant la vie quotidienne dans cet endroit isolé du monde, Shahrbanoo Sadat décrit la stricte hiérarchie qui règle l’existence des villageois. Au détour des conversations, il est question de polygamie et de petites filles données en mariage ou du prix à payer pour l’œil perdu d’un gamin. Les femmes et les enfants sont considérés, au même titre que les bêtes, comme une propriété et dans la hiérarchie sociale, les enfants arrivent en bout de chaîne. Devenu un poids pour sa mère remariée, Qodrat est envoyé dans la grande ville chez sa demi-sœur. Mais la guerre arrive même dans cette vallée perdue et les villageois doivent prendre la fuite devant l’arrivée de combattans simplement identifiés comme des « hommes armés ».
L’Orphelinat
Au début de L’Orphelinat, Qodrat a quinze ans et vit dans la rue à Kaboul. On est en 1989, au moment où Mohammed Nadjibullah se voit remettre le pouvoir par les Soviétiques. Mais l’URSS continue de soutenir le régime et lorsque Qodrat est arrêté, il est envoyé dans un orphelinat russe.
Shahrbanoo Sadat raconte ici un épisode peu connu de l’histoire afghane, vu par les yeux d’un adolescent. Dans l’orphelinat, les femmes sont en mini-jupe et les enseignants ont pour mission de transformer les jeunes orphelins en bons petits communistes. Mais pour Qodrat, c’est une chance. Il est nourri et logé, va à l’école et prend même l’avion pour aller en vacances à Moscou. Aux paysages grandioses du premier film tourné presque exclusivement en extérieur, succèdent ici des scènes qui racontent la vie à l’intérieur de l’orphelinat. Là encore, la cinéaste s’intéresse à la hiérarchie que les garçons mettent en place entre eux et à la façon très crue dont ils parlent des femmes. Dans l’orphelinat se retrouvent des gamins venus de toute l’Afghanistan, d’ethnies et de religions différentes, qui sont tous pareillement catapultés dans la culture soviétique. Parallèlement, la cinéaste thématise (et s’amuse à pasticher) l’influence du cinéma bollywoodien qui offre à Qodrat des héros auxquels il peut s’identifier et à la réalisatrice l’occasion d’un joli pied de nez aux moudjahidine. Vue aujourd’hui, la fin du film, quand les responsables de l’orphelinat se hâtent de brûler tout ce qui pouvait les lier aux Soviétiques, rappelle que l’histoire se répète de façon tragique en Afghanistan.
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