Il ne s’est rien passé

H24, 24 heures dans la vie d’une femme série dirigée par Nathalie Masduraud et Valérie Urrea

24 faits réels – 24 écrivaines – 24 actrices. C’est le format mis en place pour une nouvelle mini-série d’arte par Nathalie Masduraud et Valérie Urrea. Elles ont demandé à 24 autrices d’écrire des monologues racontant chacun un fait divers réel afin de témoigner de la violence à laquelle les femmes font face tous les jours. Chaque texte est porté par une actrice différente.

Annabelle Lengronne dans Terminal F (texte de Fabienne Kanor) réalisé par Nathalie Maduraud et Valérie Urrea (c) arte.tv

Il ne s’est rien passé. Dans beaucoup des 24 (plus un) épisodes présentés depuis samedi par arte.tv sous le titre H24, 24 heures dans la vie d’une femme, il ne s’est rien passé. Une femme harcelée et insultée dans un autobus ? Une lycéenne traitée de pute ? Une étudiante désarçonnée par les compliments mal venus de son professeur ? Une migrante sans domicile fixe violée dans un parking ? Une jeune fille invitée par un enseignant à venir écouter chez lui de la musique « sublime » ? Pour la société, pour les juges, parfois même pour les parents, il ne s’est rien passé. D’ailleurs, certaines de ces femmes n’ont pas été touchées physiquement. Comment dire alors le malaise et la honte résultant d’une parole ou d’un regard ? Regard condescendant, écrasant, humiliant. D’autant plus humiliant quand elles se surprennent à y répondre par un sourire, parce qu’elles sont polies et qu’on leur a appris à remercier quand on leur fait des compliments. Quand la société comprend qu’il s’est passé quelque chose, il est souvent déjà trop tard : les femmes ont été poussées au suicide, violentées au plus intime de leur corps, battues ou tuées.

Camille Cottin dans Nuit rouge (texte de Kaouther Adimi) réalisé par Emilie Brisavoine (c) arte.tv

La série ne montre pas les femmes seulement en victimes. Certaines se rebiffent. Elles osent porter plainte, accusent et parfois même rendent coup pour coup. Frappée au visage, celle-ci retourne dans la rue dans la robe rouge qui a servi de prétexte à son agresseur pour la harceler, celle-là hurle sa colère sur un gynécologue condamné pour violences obstétricales, une autre cogne l’homme qui voulait lui toucher les seins ou s’interpose entre un mari et sa femme qu’il venait de frapper.

Mais quelles qu’elles soient, toutes ces femmes sans exception sont filmées avec une exemplaire dignité par Nathalie Maduraud et Valérie Urrea auxquelles se sont jointes huit autres réalisatrices. Le casting, aussi bien du côté des autrices que des actrices est international et une attention particulière a été portée à la diversité ce qui permet de découvrir deux magnifiques comédiennes trop peu employées au cinéma : Annabelle Lengronne dans Terminal F (texte de Fabienne Kanor) et Kayije Kagame dans Le chignon (très beau texte d’Agnès Desarthe).

Kayije Kagame dans Le chignon (texte d’Agnès Desarthe) réalisé par Nathalie Maduraud et Valérie Urrea (c) arte.tv

A chaque fois, la violence est suggérée, mise en scène de façon symbolique. Elle n’en est pas moins forte comme dans le terrible épisode intitulé Je brûle écrit par Ersi Sotiropoulos et réalisé par Ariane Labed. En robe rouge, éclairée par des spots de la même couleur, Valeria Bruni Tedeschi s’y convulse sur une musique muette tandis que sa voix off dit qu’elle est brûlée vive par son mari après avoir cherché en vain de l’aide auprès de la police.

❝Chaque film raconte une histoire à la fois banale et complexe et mérite d’être vu et revu, disséqué et débattu.❞

Le gros plan face caméra et la danse sont deux des éléments de style qui reviennent, de même que la présence presque fantomatique des hommes. A l’arrière-plan, projetés en surimpression, en flashbacks, silhouettes muettes mais envahissantes, parfois ce ne sont que leurs mains qu’on voit : mains qui serrent, emprisonnent et étranglent ou s’introduisent simplement dans l’image. Absents, les hommes continuent de hanter l’espace vital des femmes, leurs corps et leurs pensées. Pourquoi ont-elles souri, pourquoi n’ont-elles pas dit non, pourquoi ont-elles attendu vingt ans avant de porter plainte ?

Marilyne Canto dans Avis d’expulsion (texte de Lydie Salvayre) réalisé par Nathalie Maduraud et Valérie Urrea (c) arte.tv

La série thématise également la complicité des femmes dans leur propre soumission : une mère qui traite sa toute jeune fille de pute parce qu’elle se maquille, des femmes juges qui refusent de croire au viol d’une migrante qu’elles estiment trop « moche » pour exciter un homme, des épouses qui défendent bec et oncle leurs mari pédophiles, des voisines qui refusent d’entendre les cris de la femme battue. Chaque film raconte une histoire à la fois banale et complexe et mérite d’être vu et revu, disséqué et débattu. En englobant aussi bien les injonctions vestimentaires (ici : la hauteur des talons) que les agressions sexuelles et les féminicides, les productrices ne mélangent pas tout, comme on l’entend souvent dire, mais révèlent la violence et le rabaissement systémiques dont les femmes sont la cible partout et à toute heure de la journée.

L’un des plus beaux textes est Concerto #4 de Siri Hustvedt, interprété par Céleste Brunnquell et mis en scène par Clémence Poésy (qui en est également la voix off) dans des tons froids reflétant la blessure subie : « Nothing happened and I feel like crying. They say it’s nothing to make me nothing. It’s something ».

Céleste Brunnquell dans Concerto #4 (texte de Siri Hustvedt) réalisé par Clémence Poésy (c) arte.tv

H24, 24 heures dans la vie d’une femme est programmé sur arte.tv à partir du 24 octobre et est intégralement disponible sur le site arte.tv.

 

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