The Power of the Dog de Jane Campion
The Power of the Dog est le premier long métrage de Jane Campion depuis Bright Star en 2009. Entretemps, elle a réalisé deux saisons de Top of the Lake (2013/2017) et revient aujourd’hui avec ce néo-western envoûtant dans lequel elle fait pour la première fois d’un homme son personnage principal.

Un film comportant en son milieu un gros plan dans lequel on coupe les couilles d’un veau est forcément un film qui veut nous dire quelque chose sur la masculinité.
The Power of the Dog n’en est pas pour autant, comme on peut le lire ici et là, une simple et énième « démythification » du western, même s’il joue avec les codes, les personnages et les décors du genre.
On est en 1925 au Montana. La jeune veuve Rose (Kirsten Dunst) se retrouve à la fois au centre et à la périphérie d’une histoire adaptée d’un roman autobiographique de Thomas Savage, paru en 1967.
C’est autour d’elle que tournent les trois personnages masculins du film. D’abord son fils Peter (Kodi Smit-McPhee), adolescent paraissant trop sensible et délicat pour l’environnement rustique dans lequel il grandit après le suicide de son père. Il crée des fleurs en papier et c’est sa voix off qui ouvre le film quand il demande : « What kind of a man would I be if I did not help my mother ? If I did not save her ? », posant ainsi la question du rôle de l’homme et la clé du récit à venir.

Il y a ensuite George Burbank (Jesse Plemons), le gentil mari de Rose, qui aspire à se faire une place dans la bonne société et pousse le raffinement vestimentaire jusqu’à porter un costume quand il accompagne les vaches à l’abattoir.
Et puis il y a Phil Burbank (Benedict Cumberbatch), frère, confident et bourreau de George. Phil vit dans un Far West fantasmé où on pouvait encore être un homme, un vrai, mais aussi dans le deuil de son mentor Henry Bronco qui lui a tout appris sur les chevaux et les vaches… entre autres choses. C’est Phil qui castre – à mains nues – le veau cité au début. Par bien des côtés, il rappelle d’autres personnages masculins imaginés par la réalisatrice Jane Campion. Baines bien sûr, joué par Harvey Keitel dans The Piano (1993), homme à la fois fruste, excessivement viril et étonnamment sensuel. Le même Harvey Keitel se laissait entraîner dans une troublante guerre des sexes et acceptait même de porter une robe face à Kate Winslet dans Holy Smoke (1999). Dans In the Cut (2003), le détective Mulloy (Mark Ruffalo) était à la fois l’amant attentionné de Frannie (Meg Ryan) et un possible assassin de femmes.
De Phil, qui se vante de ne jamais utiliser la baignoire dans la grande et sinistre demeure construite au pied d’une montagne qu’il partage avec son frère George, qui déclare « I stink and I like it » et rudoie cruellement le (à son avis) trop efféminé Peter, on apprend qu’il est diplômé de l’université de Yale, musicien accompli… et se consume de désir en se caressant en cachette avec le foulard de feu Bronco Henry.

Benedict Cumberbatch construit un personnage constamment sur le fil du rasoir. D’un côté, le cowboy macho. « Only another man », tente de se rassurer Rose. Et de l’autre un homme aux prises avec une sexualité que sa propre vision de la virilité l’obligée à réprimer, qui pète les plombs quand il apprend que son frère George – avec lequel il continue de partager un lit à 40 ans passés ! – vient de se marier, et qui voue à sa désormais belle-sœur Rose une haine féroce puisqu’elle lui a non seulement volé son frère mais « féminise » sa maison (elle arrive avec un bouquet de fleurs la première fois qu’elle y met les pieds).
❝C’est pour la beauté du film qu’il faut voir The Power of the Dog sur grand écran❞
Rose est prisonnière de cet étrange et sombre manoir où son mari l’a enterrée en croyant bien faire. Il y a même un piano mais alors que l’instrument donnait une voix à Ada dans The Piano, il réduit Rose au silence dans The Power of the Dog. S’inspirant à la fois de Deliverance (John Boorman, 1972) et de Once Upon a Time in the West (Sergio Leone, 1968) Campion montre Phil annihilant, avec juste un banjo et quelques notes sifflotées, le peu d’assurance qui reste à la jeune femme.

Je disais en commençant que Rose, point central entre ces trois hommes, se trouve néanmoins à la périphérie du récit. Elle en est l’enjeu mais dans la deuxième partie du film, Jane Campion abandonne son point de vue et Rose reste ainsi l’un des personnages les moins fouillés. Sa chute dans l’alcoolisme est trop vite évacuée mais à ce moment-là, il est vrai qu’on ne la voit déjà plus que par les yeux de son fils. Le récit va se concentrer sur la relation que Phil noue avec Peter en lequel il semble reconnaître un alter ego. Comme Rose, le public craint alors pour le fragile adolescent… oubliant qu’on l’a vu disséquer un lapin dans sa chambre.
Jane Campion s’inspire des maîtres. De Sergio Leone donc, et aussi de John Ford et de ses vues sur les paysages grandioses de l’Ouest à travers des fenêtres et des portes, de même que des tableaux étrangement mélancoliques du peintre américain Andrew Wyeth. Mais ici, la vue est bloquée par la montagne imposante dans laquelle Phil imagine la forme d’un chien montrant les crocs, et qui le hante. Ce chien, que Peter est le seul à voir également, lie les deux hommes mais il donne aussi corps à la menace diffuse qui plane sur chaque scène, magnifiée par la musique envoûtante de Jonny Greenwood. C’est pour la beauté du film qu’il faut voir The Power of the Dog sur grand écran puisqu’au Luxembourg on a actuellement cette chance (en France, le film ne sort que sur Netflix).
Une expression erronée a été corrigée le 7.12.2021
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