Un héros d’Ashgar Farhadi
Rahim est célébré comme un héros avant d’être aussitôt vilipendé et publiquement humilié dans Un héros, le nouveau film d’Ashgar Farhadi (Une séparation, Ours d’Or 2011 et Oscar du meilleur film étranger). Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2021, Un héros est un conte moral ancré dans la société iranienne mais qui raconte aussi la nôtre.

Au début du film Un héros, on suit un homme qui gravit un interminable escalier brinquebalant de chantier. Quand il arrive enfin en haut, à bout de souffle et en sueur, c’est pour s’entendre dire qu’il a fait la montée pour rien et va tout de suite devoir redescendre. Tel va être la trajectoire de Rahim : un parcours harassant semé d’embûches qui le ramènera au final à son point de départ : la prison.
Le chantier n’est pas n’importe quel chantier. Nous sommes sur le site de Naqsh-e Rostam à côté de l’ancienne Persépolis, là où sont hébergées les tombes d’anciens rois célèbres à côté desquels notre « héros » moderne ne pourra faire que piètre figure. C’est là que travaille, à la restauration du monument, le beau-frère de Rahim. Condamné pour une dette non payée, ce dernier a repris espoir lorsque sa nouvelle fiancée a trouvé dans la rue un sac perdu qui contenait de l’or. Pas beaucoup mais assez pour peut-être calmer l’homme à qui Rahim doit de l’argent et le persuader de retirer sa plainte.
Première déception : l’or vaut finalement moins que prévu et le créancier ne se contentera pas d’une partie de l’argent qui lui est dû. Rahim décide alors de rendre plutôt le sac à sa propriétaire légitime et publie une annonce pour inviter celle-ci à se manifester.
❝Ce n’est pas (seulement) le montage qui induit l’interprétation mais le spectateur lui-même, avec ses préjugés, ses attentes, son histoire.❞
Avait-il une idée derrière la tête ? A-t-il agi, comme il le prétendra plus tard, par mauvaise conscience, par peur d’une punition divine, ou plutôt par calcul pour se racheter une bonne réputation ? Ashgar Farhadi laisse cette question sans réponse. Il y a toujours dans ses films un « point aveugle », quelque chose que le spectateur ne voit et/ou ne sait pas et qui est pourtant au cœur de l’intrigue. Dans Une séparation, on n’apprend pas si le protagoniste a volontairement poussé dans l’escalier la jeune femme qui l’accuse ensuite d’avoir provoqué sa fausse couche. Dans Un client (2016), on ne voit pas ce qui arrive à l’épouse du personnage principal : a-t-elle été violée ou seulement surprise nue dans son bain ? Farhadi utilise habilement ce procédé pour accentuer la complexité des agissements humains mais aussi pour mettre le public face à ses propres idées préconçues.
La façon dont nous voyons ses personnages dépend en premier lieu du regard que nous posons sur eux. Tel qu’il est interprété par Amir Jadidi, avec son continuel sourire et son regard innocent, Rahim est assez lisse pour donner lieu à ce qu’on appelle « l’effet Koulechov » : l’idée que le plan neutre d’un acteur est interprété différemment selon les plans qui le suivent. Sauf qu’ici ce n’est pas (seulement) le montage qui induit l’interprétation mais le spectateur lui-même, avec ses préjugés, ses attentes, son histoire. Les uns verront en Rahim un pauvre hère, d’abord héros puis victime d’une opinion publique dopée aux vidéos de youtube. Les autres le soupçonneront d’être un manipulateur sans scrupules qui va jusqu’à jeter son enfant bègue en pâture aux médias pour les apitoyer.
Car après avoir été célébré pour avoir rendu l’argent, Rahim sera très vite soupçonné par ceux-là même qui viennent de l’encenser. A-t-il vraiment rendu l’or ? Qui est la mystérieuse propriétaire du sac perdu ? Et d’ailleurs, pourquoi avait-il contracté la dette à l’origine de sa condamnation ? Pourquoi son créancier lui en veut-il à ce point ?

A partir d’un tout petit mensonge, Rahim va être entraîné dans un engrenage infernal mais est-il vraiment aussi innocent qu’il en a l’air ? Et si ce n’est pas le cas, mérite-t-il pour autant l’humiliation publique subie par lui-même et sa famille ? A cette question sociétale, doublée d’une réflexion d’ordre philosophique (Rahim est-il maître de son propre destin ?) s’ajoute le constat d’une opinion publique anonyme qui encense ou condamne en lieu et place de la justice, de la perte de toute notion de nuance ou de complexité, de la sommation à se justifier devant des inconnus mais aussi la critique à peine voilée de la corruption ainsi que de la place des femmes dans la société iranienne. Dans les films de Farhadi, les femmes sont toujours en train de se débattre avec leur foulard et se servent, non sans malice, de leur tchador pour cacher une grossesse dans Une séparation ou le sac avec l’or dans Un héros.


(c) Memento Distribution
Les enfants jouent le rôle de témoins effrayés ou effarés devant les agissements d’adultes autour desquels Farhadi multiplie les parois, vitres et portes pour symboliser à la fois l’emprisonnement de chacun dans sa bulle et la complexité d’un monde dans lequel, selon la célèbre devise énoncée dans La règle du jeu de Jean Renoir : « le plus terrible, c’est que chacun a ses raisons ». Sa maîtrise à la fois du récit et de la mise en scène lui ont valu l’année dernière à Cannes le Grand Prix du Jury.
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