Alors que le droit à l’avortement est menacé dans de nombreux pays, le cinéma semble s’y intéresser davantage, souvent pour montrer de jeunes adolescentes obligées d’affronter toutes sortes d’obstacles pour avorter dans la clandestinité ou l’anonymat. C’est notamment le cas de L’Événement d’Audrey Diwan, Lion d’Or au Festival de Venise 2021, actuellement sur nos écrans.

Hasard ou non, l’année 2022 commence au cinéma comme 2021 : avec un film sur l’avortement. Au difficile périple d’une adolescente obligée de se rendre à New York pour avorter dans Never Rarely Sometimes Always (Eliza Hittman, sorti en 2021) répond cette année dans L’événement (Audrey Diwan, Lion d’Or au Festival de Venise) le combat désespéré d’une étudiante qui refuse de voir son départ dans la vie stoppé net par un enfant non désiré. Entre les deux, on a vu Lingui (Mahamat-Saleh Haroun) dans lequel une mère tente de procurer une IVG à sa fille de quinze ans dans un pays, le Tchad, où cet acte est interdit aussi bien par la religion que par la loi.

Le point commun entre toutes ces femmes ? Il n’y a dans leur décision aucune place pour l’hésitation, les tergiversations ou le doute. Elles ne veulent pas de cet enfant, un point c’est tout, et elles sont prêtes à risquer leur vie pour ne pas l’avoir. Cela nous change des innombrables films (surtout américains) dans lesquels les femmes sont longtemps indécises et choisissent souvent au dernier moment de ne pas « le » faire, préférant (ou se laissant convaincre de) faire adopter le bébé ou l’accueillant même à bras ouverts après avoir subitement changé d’avis.
Bon baromètre des sujets qui taraudent l’Amérique, le festival de Sundance qui vient de se terminer a présenté trois films sur l’avortement illégal : L’événement mais également Call Jane (Phyllis Nagy, avec Elizabeth Banks et Sigourney Weaver) et le documentaire The Janes. Ces derniers s’intéressent tous deux au collectif des « Jane » qui aidait clandestinement les femmes à avorter à Chicago avant que l’arrêt Roe v. Wade de la Cour suprême – aujourd’hui menacé ! – ne légalise l’IVG à partir de 1973.

Autre point commun dans les trois films vus dans nos salles : les hommes ne sont pas d’un grand recours. Au pire, les femmes sont violées ou sexuellement harcelées. Au mieux, les hommes refusent de pratiquer l’avortement ou plus généralement se délestent de toute responsabilité. L’avortement reste une affaire de femmes.
L’Événement, qui est donc actuellement dans nos salles, suit de très près Anna (Anamaria Vartolomei), étudiante dans une ville de province qui se découvre enceinte au début des années 1960. L’avortement (le mot ne sera jamais prononcé) est encore interdit en France. Anna ne peut pas en parler à ses parents, un médecin chez qui elle cherche de l’aide la trahit, ses amies ont trop peur pour l’aider. La jeune femme se retrouve littéralement prise au piège par son corps, sentiment que le film traduit par le format 1:37 qui enferme et étouffe l’actrice dans un cadre étroit. Commence alors le parcours de la combattante, d’un docteur à l’autre, puis une tentative d’avorter seule et deux (!) passages chez la faiseuse d’ange. Le film est adapté d’un roman autobiographique d’Annie Ernaux qui avait failli perdre la vie en avortant clandestinement en 1964. Anamaria Vartolomei prête au personnage sa détermination et son regard perçant.

La réalisatrice ne surjoue pas le côté lugubre (accentué seulement par le décor estival) mais, comme son actrice, ne détourne pas les yeux quand il faut regarder en face les instruments qui vont pénétrer son vagin, la peur qui lui tord le ventre, le fœtus expulsé. La Rosetta des frères Dardenne (1999) a été une inspiration pour créer le personnage tel que l’ont imaginé la cinéaste et la comédienne, même si Anna est plus aimable que Rosetta, et apparemment mieux intégrée dans la société. Mais elle est d’autant plus seule qu’elle est coincée, par son statut d’étudiante et future intellectuelle, entre deux classes sociales, le milieu ouvrier dont elle vient et la bourgeoisie dont est issu le père de l’enfant et qu’elle fréquente à l’université.
Au passage, Audrey Diwan dénonce la frustration sexuelle engendrée par la multiplication des interdits, pesant aussi bien sur les jeunes hommes mais plus encore sur les femmes qui n’avaient pas droit aux faux pas. Alors, elles se livrent à de bien étranges séances de masturbation en guise « d’entraînement » et vivent dans la peur des semaines durant quand elles se laissent malgré tout tenter par le diable.
❝L’IVG est presque toujours dramatisée au cinéma.❞
Au moment où le droit à l’avortement n’existe toujours pas dans de nombreux pays et est remis en question dans beaucoup d’autres, il est important de rappeler ce que signifie réellement pour les femmes de devoir avorter dans la clandestinité mais aussi dire haut et fort que rien n’empêchera une femme d’avorter si – pour une raison qui la regarde – elle estime ne pas vouloir ou pouvoir mettre un enfant au monde. Les trois films mentionnés dénoncent chacun avec fermeté, sobriété et honnêteté ces faits. Et dans les pays où ces droits ne sont pour le moment pas encore menacés, il faut rappeler aux jeunes générations la nécessité du combat pour que cela demeure ainsi.

Les protagonistes de ces films ont toutefois une autre caractéristique : elles survivent toutes à l’avortement, même quand celui-ci est pratiqué de façon clandestine et dans des conditions hygiéniques loin d’être idéales. Il n’en reste pas moins que l’IVG est presque toujours dramatisée au cinéma. Même quand elle est légale comme dans Never Rarely Sometimes Always, les femmes doivent se confronter au regard et parfois à la violence de leur entourage, éviter le dépassement des délais légaux, rassembler difficilement des sommes importantes et souvent avorter seules parmi des étrangers, toutes choses qui transforment l’opération en une véritable épreuve émotionnellement sinon physiquement extrêmement douloureuse.
L’image que donne le cinéma de l’IVG est ainsi biaisée. Les complications dans les avortements réalisés à l’hôpital ou de façon médicamenteuse sont rares. Tout aussi rares sont pourtant les films dans lesquels une femme explique sereinement qu’elle veut avorter, comme le faisait, tout juste trois ans après la légalisation de l’IVG en France, le personnage interprété par Romy Schneider au début de Une histoire simple (Claude Sautet, 1978). Elle a quarante ans, elle est divorcée et mère d’un enfant. De fait, un grand nombre des femmes qui avortent ont des enfants et sont en couple, ce qui est peu montré au cinéma. En complément des films « chocs », on aurait pourtant aussi besoin de ce point de vue plus apaisé.
L’événement: actuellement au cinéma; Never Rarely Sometimes Always: disponible sur a-z.lu
Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.
Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!