Luxfilmfest_02: Des jeunes filles et des généraux

Des jeunes filles enlevées par les cartels mexicains aux grévistes polonais tués lors des émeutes de la Baltique en 1970, le Luxembourg City Film Festival met à l’affiche quelques oeuvres politiques fortes qui interrogent la violence du monde à travers des propositions cinématographiques innovantes et poétiques.

Une enfance au pays des cartels

L’un des meilleurs films sélectionnés dans ce 12e Luxembourg City Film Festival est le premier long métrage de fiction de la Mexicaine Tatiana Huezo. Dans ses précédents documentaires, elle s’était attachée à relater la guerre civile au Salvador (El lugar más pequeño, 2011), les répercussions du crime organisé sur une famille (Ausencias, 2015) ou encore la traite des êtres humains au Mexique (Tempestad, 2016). Dans Noche de Fuego / Prayers for the Stolen, librement adapté d’un roman de Jennifer Clement, elle suit une fillette grandissant dans un village reculé du Mexique, en proie aux cartels qui terrorisent la population obligée de travailler pour eux dans les plantations de pavots.

Quand on fait la connaissance de la jeune Ana (Ana Cristina Ordóñez González), elle est en train de creuser avec sa mère (Mayra Batalla) un trou dans la terre dans lequel elle va ensuite se coucher. Ce n’est qu’à la fin du film qu’on comprendra la raison d’être de ce qui – contre toute apparence – n’est pas une tombe. Mais d’emblée, la réalisatrice installe ainsi une menace sournoise et constante dans laquelle Ana et ses copines Maria (Blanca Itzel Pérez) et Paula (Camila Gaal) vivent leur enfance puis leur adolescence, protégées par des mères qui ne connaissent que trop le danger qui les guette. Dès la petite enfance, elles coupent les cheveux de leurs filles pour qu’on les prenne pour des garçons et elles leur apprennent à distinguer les sons dans la nuit. Quand une adolescente disparaît subitement, on raconte aux enfants qu’elle est « partie ».

Les pères travaillent ailleurs et au crépuscule, les mères et les enfants se retrouvent sur la colline à lever leurs portables vers les étoiles dans l’espoir de parler aux hommes absents. C’est un moment surréaliste, presque magique, dans un film qui parle d’injustice et de la violence la plus abjecte, non pas édulcorées mais interrogées par les yeux d’une enfant. Les hommes sans visage qui surgissent sans crier gare dans leurs énormes SUV sont comme les serpents et les scorpions avec lesquels Ana doit apprendre à vivre.

La réalisatrice prend le temps de laisser les filles vivre leur vie d’enfants et d’adolescentes, nageant dans la rivière, jouant à deviner les pensées les unes des autres ou s’entichant du nouveau prof venu de la ville. Magnifiquement servie par ses jeunes interprètes incarnant les trois protagonistes enfants puis adolescentes (Marya Membreño, Giselle Barrera Sánchez et Alejandra Camacho les jouent à 13 ans), Tatiana Huezo relègue les atrocités des cartels dans le hors champ mais une chambre vide dit toute la monstruosité de leurs actes, et les cheveux coupés sous les larmes des fillettes symbolisent puissamment à la fois la vulnérabilité et le courage désespéré des femmes.

Présenté en compétition, Prayers for the Stolen réussit cette chose rare d’être à la fois un magnifique film sur l’enfance et une oeuvre politique nuancée et forte, qui dénonce la violence faite non seulement aux femmes mais également aux jeunes garçons de cette communauté, condamnés à devenir à un moment ou un autre complices des cartels.

L’enfance d’une djihadiste

On ne peut pas en dire autant de You resemble me, également un premier long métrage, réalisé par la journaliste américaine Dina Amer qui s’est intéressée au personnage et à la trajectoire de Hasna Aït Boulahcen. Cette jeune femme, tuée pendant l’assaut de Saint-Denis qui a suivi les attentats de novembre 2015 à Paris, fut présentée comme la première femme kamikaze avant qu’il ne s’avère qu’elle ne s’était pas faite exploser mais était morte dans l’explosion déclenchée par l’un de ses compagnons. Comment Hasna, ancienne prostituée et droguée, en était-elle venue à épouser la cause de son cousin Abdelhamid Abaaoud qui a mitraillé les terrasses le 13 novembre ? C’est ce qu’essaie de reconstituer Dina Amer, malheureusement de façon assez plate sur le plan de la mise en scène et simpliste au niveau de la narration.

(c) Vice Studios

Maltraitée par sa mère, séparée de force de sa petite sœur Myriam qui est sa seule amie et sa complice, pour être élevée dans une famille d’accueil où on ne semble pas beaucoup s’intéresser à elle si ce n’est pour en faire une bonne petite Française, violée, frappée et méprisée, Hasna se révolte, en veut au monde entier et se réfugie dans l’imaginaire des westerns (elle fut surnommée « la cow-girl ») avant de troquer subitement le chapeau de cowboy contre le voile intégral.

(c) Vice Studios

Ce portrait, à relire dans tous les journaux de l’époque, est transposé quasiment tel quel, sans nuances, dans le film qui ne nous apprend rien de plus. Si Hasna est jouée de façon assez convaincante dans l’enfance par Lorenza Grimaudo, Mouna Soualem (fille de Hiam Abbass et de Zinedine Soualem, ce dernier apparaissant également dans le film) fait ce qu’elle peut avec un personnage écrit de façon trop schématique pour vraiment nous toucher. Pour symboliser ses difficultés à trouver son identité, la cinéaste la fait interpréter brièvement par d’autres actrices (Sabrina Ouazani et Dina Amer elle-même), procédé un peu trop littéral, à l’image du film tout entier. Les humiliations qu’elle subit de la part de sa famille d’accueil, de quelques hommes prédateurs ou d’un militaire qui refuse (non sans raison) de l’accepter dans l’armée ou encore sa conversion par internet donnent lieu à des scènes lourdement démonstratives servant à motiver la radicalisation d’une jeune femme qui ne rêvait apparemment que d’une vie normale.

Les arcanes du pouvoir

Franchir la frontière entre les victimes et les bourreaux et nous placer dans la tête de ces derniers est un exercice que le Polonais Tomasz Wolski réussit en revanche avec brio dans le documentaire 1970 (en compétition). Partant d’enregistrements retrouvés dans les archives polonaises lors de recherches pour un documentaire précédent sur la surveillance de la population par les secrets secrets (An Ordinary Country, 2020), il reconstitue le cours des événements et l’enchaînement des décisions qui ont amené les responsables polonais à tirer sur des ouvriers grévistes lors de ce qu’on a appelé « les émeutes de la Baltique ». C’est en effet dans des villes côtières qu’éclatent en 1970 ces protestations suite à une hausse subite des prix juste avant Noël.

(c) Kijora Film

Dans ce régime obsédé par la surveillance, les conversations entre les responsables chargés de mettre fin à la grève ont été enregistrées et conservées. Alors qu’on entend leurs voix, les membres de l’équipe en charge de la crise sont représentés par des marionnettes filmées en train de manigancer au téléphone dans des pièces sombres et enfumées : les arcanes du pouvoir. C’est quasiment un décor de film noir auquel le réalisateur oppose les images d’archives des grévistes dans la rue… filmées par les services secrets aux fins d’identification des manifestants et sonorisées pour les besoins de la production.

Outre le rappel d’un épisode historique – les émeutes firent une quarantaine de victimes, provoquèrent quelques démissions dont celle de Gomulka, le dirigeant de l’époque, et marquèrent durablement un certain Lech Walesa – 1970 se révèle une fascinante autopsie de l’escalade annoncée d’une crise par des responsables pris au dépourvu puis très vite dépassés par les événements et soucieux de sauver leur propre peau, sinon au propre du moins au figuré. Que le spectateur non polonais (tout comme sans doute la plupart des jeunes en Pologne) ne comprenne pas toujours qui est qui parmi les dirigeants ne joue finalement pas un rôle déterminant. On suit leurs conversations (parfois assez surréalistes), on sent monter leur nervosité et la situation qui dérape tandis qu’à l’image, on voit les chars débarquer dans les rues. Le recours aux marionnettes évite intelligemment les reconstitutions toujours gênantes dans les documentaires et renforce par ailleurs l’image de dirigeants figés dans leurs prérogatives et un système sclérosé qui ne peut opposer aux demandes de plus de justice que la violence et encore plus de répression.  

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